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Gonzague de Chambure (1873-1946)
Gonzague de Chambure (1873-1946), troisième bibliophile de
La
Chaux
et quatrième de la famille, hérita d’une vieille terre fami-
liale qui commençait à battre de l’aile. Ecornée par les partages,
la taille des fermes se réduisait comme peau de chagrin. Quand
aux multiples bâtiments édifiés par son grand-père, de surcroît
rendus inutiles par la mécanisation agricole, ils nécessitaient
sans cesse des réparations, enfin les coûts de main d’œuvre aug-
mentaient très fortement. Surtout, la Guerre de 14, au cours de
laquelle il avait reçu la Croix de Guerre, marquait le début du dé-
clin de l’économie rurale, déclin encore accentué par les lois très
défavorables aux propriétaires qui furent votées après la Deu-
xième guerre mondiale. Chateaubriand avait raison en écrivant
« on compte ses ancêtres quand on ne compte plus », et c’est
ainsi que Gonzague procéda à d’importantes recherches généa-
logiques, couronnées par la publication d’une histoire de sa terre
familiale, opuscule publié à Autun en 1923
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, signé par un certain
abbé Charrault, car « c’est travail d’ecclésiastique que d’écrire
l’histoire des seigneurs qui ne sauraient s’abaisser à le faire… »
Les choix du maître des lieux sont le reflet des préoccupations
inquiètes d’un gentilhomme devant le monde qui change :
Edouard Drumont, Gobineau, etc… La taille de la bibliothèque at-
teint alors des sommets : quinze milles volumes en 1923. Ayant
laissé six enfants, cette branche cadette, aujourd’hui éteinte
dans les mâles, n’avait d’autre solution que de se tourner vers
une autre branche, économiquement en mesure d’assurer la
pérennité de la propriété.
Il faut remonter à Hugues Pelletier de Chambure (1727-ap.
1792), seigneur de
La Chaux
et de
Saint-Léger,
contrôleur au
grenier à sel de Saulieu, auteur commun à tous les porteurs du
nom actuels, pour relier notre grand-père Hubert de Chambure
(1903-1953) audit Gonzague, son cousin au neuvième degré
civil. Appartenant à un rameau devenu parisien depuis que
son père avait fondé
L’Argus de la Presse
, allié aux familles de
la haute banque juive (bien fait pour le Drumont !), Rothschild,
Lazard, Singer, le nouvel acquéreur du domaine ancestral me-
nait grand train. Ayant refait fortune dans les hévéas de ce qu’on
appelait alors l’Indochine, c’était un sanguin, tout ce qu’il y a de
plus mondain, grand ami de Jean de Beaumont, aussi bon fusil
que lui, appartenant au monde interlope des happy fews qui
«faisaient courir». Propriétaire d’une écurie de galopeurs aux
couleurs Chambure (or et azur), il venait en effet de remporter
le
Prix de l’Arc-de-Triomphe
, juste après avoir racheté le haras
d’
Etreham
aux cousins Foy. Mais, six ans après l’avoir repris, il
mourut foudroyé par une crise cardiaque, victime d’un défaut
héréditaire du cœur dont tous ses enfants furent terrassés à
tour de rôle. C’est alors que sa veuve, Geneviève Thibault com-
tesse Hubert de Chambure (1902-1975), la célèbre collection-
neuse d’instruments de musique anciens, au goût très sûr et très
raffiné, arpenta les antiquaires, afin de restituer, avec l’aide de
Pierre Barbe
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, l’atmosphère d’un intérieur de la première moitié
du XIX
e
siècle. Faux bois, faux marbres, cabochons noir et blanc,
meubles d’acajou et bronzes dorés du meilleur Empire, choi-
sis en souvenir du héros de Dantzig, corniches, tissus de qua-
lité n’allaient pas tarder à constituer le meilleur écrin possible
pour la bibliothèque. On trouve ainsi quelques précieux livres
musicaux provenant de l’immense bibliothèque neuilléenne de
notre grand-mère musicologue. Alors entièrement tapissées de
reliures, les trois pièces du bas, découvertes à l’enterrement de
notre grand-mère, j’avais alors quatorze ans, décidèrent de mon
amour des bibliothèques. Je peux écrire aujourd’hui que c’est à
La Chaux
que j’eu la vocation de bibliophile.
D’où le plaisir pour moi de décrire ici cette émotion qui me saisit
Nos grand-parents. Le comte et la comtesse Hubert de Chambure. Indochine, vers 1938. Collection François-Louis a’Weng




