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Je l’ai amené à une heure après minuit. À peine a-t-il vu notre malheureux malade qu’il l’a condamné. J’ai resté avec
lui jusqu’à trois heure du matin, je l’ai quitté l’âme déchirée.
Il est mort à cinq heure au moment où S. M. venoit encore le voir.
Je perds en lui un de mes meilleurs amis, et l’empereur le meilleur soldat de l’armée.
Je vous embrasse...
»
Le général
Rapp
, aide de camp de l’empereur dans la campagne d’Autriche, venait de se couvrir de gloire à Austerlitz
où il fut blessé. Il s’était lié d’amitié avec Lannes lors de la campagne d’Égypte. Le diplomate Nicolas
Massias
avait
connu le maréchal en
1794
alors que tous deux servaient dans un bataillon du Gers à l’armées des Pyrénées-Orientales,
et il avait connu le général Rapp quand celui-ci était gouverneur de Dantzig en
1807
.
La mort du maréchal Lannes,
« triste nouvelle qui cause un deuil universel »
309. CAMBACÉRÈS
(Jean-Jacques Régis de). Lettre signée en qualité d’archichancelier de l’Empire, adressée à
François-Scholastique Guéhenneuc. Paris, 9 juin 1809. 1 p. in-12 carré.
400 / 500
«
Je fais mes complimens à monsieur Guéhenneuc, dont on m’annonce le retour.
Je le prie de témoigner à madame la
maréchale duchesse de Montebello combien je suis empressé de lui rendre mes devoirs, et de lui exprimer la part
bien sincère que je prends à sa juste douleur.
Si madame la duchesse ne pouvait pas me recevoir, je prie monsieur
Guéhenneuc de vouloir bien se rendre auprès de moi aujourd’huy dans la matinée ;
je lui remettrais une lettre pour
mad. sa fille, que S.M. l’empereur lui écrit
, et qui m’est arrivée en même tems que la triste nouvelle qui cause un deuil
universel...
»
Beau-père du maréchal Lannes, François-Scholastique Guéhenneuc avait été nommé directeur général des Eaux-et-
Forêts en
1801
, et serait fait comte d’Empire et membre du Sénat conservateur en
1810
.
« “J’exècre la guerre”, me disoit-il, “je l’ai dit à l’empereur.
Le premier bruit de guerre me fait frissonner ;
mais aussitôt que j’ai fait les premiers pas, je ne songe qu’au métier”... »
310. LANEFRANQUE
(Jean-Baptiste Pascal). Lettre autographe signée à la belle-mère du maréchal Lannes, la comtesse
Guéhenneuc, Marie-Louise Henriette Charlotte Crépy. Schönbrunn, 24 juin 1809. 3 pp. 1/2 in-4.
1 500 / 2 000
Récit de la mort du maréchal par un des médecins de la Maison de l’empereur qui le soignèrent.
Médecin
en chef de l’hospice de Bicêtre, il était très apprécié du docteur Jean-Nicolas Corvisart, médecin personnel de
Napoléon I
er
et par ailleurs ami intime du maréchal Lannes. Il fut donc attaché à la Maison de l’empereur lors de sa
constitution, et participa donc à de nombreuses campagnes. Quand le maréchal Lannes fut blessé le
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mai lors de la
bataille d’Essling, Lanefranque fit partie des médecins qui suivirent son agonie.
«
... Trois ou quatre jours avant que Mr le maréchal ne partît du quartier impérial de Schoenbrunn pour Ebersdorf,
c’est-à-dire, avant la fatale bataille, je le voyois, tous les matins, chez lui. Le dernier de ces jours, il me retint auprès
de lui, depuis huit heures jusqu’à une heure. Il me parla constamment de sa famille, de Maison
[le château de Lannes,
actuellement Maisons-Laffitte]
, du bonheur de Corvisart à la Garenne
[le château des Tournelles, de son ami intime le
docteur Jean-Nicolas Corvisart, à La Garenne, près de Colombes]
, de l’originalité des discussions de Corvisart avec Mr
Guéhenneuc, des difficultés de l’art militaire, bien plus grandes que celles de la médecine, malgré tout ce que Corvisart
pouvoit dire en faveur de la médecine.
La question de la guerre fut celle sur laquelle il insista beaucoup, et qu’il ramena à plusieurs reprises...
“J’exècre la guerre“,
me disoit-il, “je l’ai dit à l’empereur. Le premier bruit de guerre me fait frissonner ; mais aussitôt que j’ai fait les
premiers pas, je ne songe qu’au métier...
Nous perdons ici du temps depuis six jours. Je voudrois déjà avoir rejoint les
Autrichiens... Vous entendez la musique de ce régiment ? (Elle passoit dans ce moment sous les croisées de l’appartement)
Eh, bien ! C’est pour étourdir les hommes et les mener à la mort sans qu’ils s’en doutent...
Il faut que tous les officiers
paroissent sur les champs de bataille, aux yeux du soldat, comme s’ils étoient à la noce...
N’est-ce pas que j’ai de jolis
enfans ? Ce petit Napoléon est plein d’intelligence. Lorsqu’il entendit que j’allois partir à l’armée d’Allemagne, il me dit :
“il faut donc, papa, que tu ailles toujours à la guerre, jusqu’à ce que tu sois tué.” Mr le maréchal répéta les propos de son
fils, dans le courant de notre entretien, toujours avec une préoccupation d’esprit, toute particulière, qui resta fortement
imprimée dans ma mémoire...
» Lanefranque relate les progrès de la fièvre, les visites de l’empereur, de Berthier, des aides
de camp de l’empereur, des généraux Dumas, Rapp et autres, des officiers supérieurs...
« L’empereur... resta quelques instant dans le silence,
qu’il rompit ensuite en disant : “Au surplus, tout finit comme ça”. »
Joint, du même, une correspondance manuscrite de l’époque de 9 lettres au docteur Jean-Nicolas
Corvisart, provenant des papiers de la famille Lannes.
Vienne,
24
mai
1809
, Ebersdorf,
25
-
31
mai
1809
, et
Schoenbrunn,
11
juin
1809
.
Les
8
premières sont des bulletins de santé relatant au jour le jour l’agonie du maréchal
Lannes, par exemple, de Vienne le
24
mai
1809
: «
Vous êtes l’ami par excellence ; il n’y a que vous au monde qui puisse
se charge
[r]
d’informer et de consoler de cet affreux malheur la famille de Mr le maréchal...
»




