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55. BERLIOz (Hector). L

ETTRE AuTOGRAPHE SIGNéE à SON PèRE

, datée

Paris ce 19 février 1830

, 6 pages in-8

(226 x 166 mm), sous chemise demi-maroquin rouge.

8 000 / 10 000 €

J

E N

AI TROUVÉ QU

UN MOYEN DE SATISFAIRE COMPLÈTEMENT CETTE AVIDITÉ

IMMENSE

D

ÉMOTION

,

C

EST LA MUSIQUE

. S

ANS ELLE

CERTAINEMENT JE NE POURRAIS PAS EXISTER

.

Pauvre et inconnu, ayant souffert de l’opposition de son père qui voulait qu’il fût médecin, Berlioz, en ce début 1830, se

trouvait dans une situation précaire. Il avait déjà concouru trois fois sans succès pour le Prix de Rome et donnait des concerts

pour vivre. Ce n’est qu’à la fin de l’été de cette même année qu’il obtint enfin le prix et put partir pour l’Italie. Mais 1830

est aussi l’année durant laquelle il composa la

Symphonie fantastique

, exécutée pour la première fois le 5 décembre suivant.

Le silence des siens l’inquiète, les souvenirs l’assaillent et il découvre le considérable pouvoir de l’imagination sur la

création.

J’attendais tous ces jours-ci de vos nouvelles, et je suis surpris de n’en pas recevoir. Qui peut donc occasionner ce silence

inaccoutumé ? Nanci me doit une réponse

[…]

Maman me néglige bien aussi ; j’aurais pourtant eu bien besoin d’une de

ses lettres la semaine dernière, où j’étais presque toujours seul dans ma chambre, souffrant d’une fluxion. La dent de l’œil,

du côté droit se cariait en dedans et me faisait beaucoup souffrir il était trop tard pour la plomber, en la faisant arracher

j’étais passablement défiguré

[…]

En outre l’habitude que j’ai prise de m’observer continuellement fait qu’aucune sensation

ne m’échappe et la réflexion la rend double, je me vois dans un miroir. J’éprouve souvent des impressions extraordinaires,

dont rien ne peut donner une idée, vraisemblablement l’exaltation nerveuse en est la cause, cela tient de l’ivresse de l’opium

[…]

Je me vois d’ici les dimanches surtout, dans le temps que vous me faisiez expliquer l’Enéide de Virgile, assistant aux

Vêpres ; l’influence de ce chant calme et monotone aidé de celle de certaines paroles comme l’in exitu Israel qui me racontait

le passé, était telle que je me trouvais alors saisi d’une affliction presque désespérante, mon imagination m’environnait de

tous mes héros troyens et latins

[…]

et puis toutes ces armes brillantes que je voyais réfléchissant le soleil d’Italie à travers

des nuages de poussière, ces mœurs si éloignés des nôtres, tout cela confondu et mêlé avec les idées bibliques, les souvenirs

d’Egypte, de Moïse, me mettait dans un état de souffrance indéfinissable, j’aurais voulu pouvoir pleurer cent fois davantage.

Eh bien ce monde fantastique s’est conservé en moi et s’est accru de toutes les idées nouvelles que j’ai conçues en avançant

dans la vie ; c’est devenu une véritable maladie

[…]

je croirais volontiers qu’il y a en moi une force d’expansion qui agit

violemment, je vois tout cet horizon, ce soleil, et je souffre tant, tant, que si je ne me contenais, je pousserais des cris,

Hector BERLIOZ

(1803-1869)

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