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rapprocher la plume et l’esprit »… Etc.
20 août
. Il est charmé des lettres de son ami, mais voudrait qu’il y parle plus de lui-même :
« j’aimerais vous connaître davantage, pénétrer votre vie, me renseigner sur votre but et le chemin si intéressant de votre pensée ».
B
ourla
, sans doute un peu jaloux, s’est vexé : « Je suis bouleversé, surpris, intensément stupéfait. J’ai offensé Bourla ? J’ai commis
une
“crasse”
?!! […] Je sais que je suis une brute bien intentionnée. Mais je ne croyais pas qu’il eut à se plaindre de cela. Il est vrai
que, comme il vous avait amené, j’ai cru devoir m’occuper très spécialement de vous […] je suis chagriné d’avoir chagriné Bourla.
Je vous trouve sévère dans vos jugements sur lui. C’est un littérateur, c’est pourquoi il aime les mots à effets »…
24 août
. « C’est
moi qui suis un vieil imbécile. J’aurais dû comprendre. À la vérité je suis si accoutumé à mes propres gaffes et à mes inconsciences
que je vis toujours disposé à “encaisser” leurs conséquences ». Il peut venir sans
B
ourla
: « Si vous êtes triste nous pleurerons
ensemble, si vous êtes gai vous m’égaierez – j’ai tant besoin de l’être ! – Si vous parlez de poèmes, apportez-en, nous discuterons le
coup. J’ai eu 3 numéros de revues !
Poésie 42
,
Confluences
et
Fontaine
. Je trouve le mouvement poétique absolument remarquable
en zone libre et nous lirons des vers ensemble ». Il signale la nouvelle d’Henri
T
homas
,
Le Précepteur
, à la
N.R.F.
, qui lui a plu :
« C’est tout aussi bien qu’Elsa Triollet ou Sartre si ça ne vaut pas du Dominique Rollin ».
1
er
septembre
. « Très précieux frère et fils ami.
S
artre
n’est qu’un peintre de mœurs, peintre très discret. Sa discrétion vient d’une
grande culture car ses œuvres valent
non
par elles même et ce qu’elles contiennent mais par ce qui est alentour et qu’elles ne disent
pas. […] Avant que l’auteur ait refait son auréole il faudra attendre qu’elle ait atteint l’âge de Cervantès ou celui du Jean-Jacques
des
Confessions
. À moins d’être Shakespeare on ne refait pas deux chefs d’œuvre (
H
ugo
n’en a pas fait un seul).
R
imbaud
l’a bien
compris qui n’a pas voulu tenter une deuxième chance […]. L’Auréole ! l’auréole ! C’est ce qui compte. […] On tolère le prosaïsme
d
’A
pollinaire
parce qu’on sent que ça vient d’un homme d’allure. Les petits moineaux qui l’imitent font rire. Conclusion : il faut
se faire une culture formidable, insister sur son moi (chapitre à creuser, lire Kierkegaard là-dessus), se séparer pour rejoindre, avoir
une grande mémoire et alors écrire n’importe quoi. Exemple : les gros contes de
B
alzac
ne seront jamais des chefs d’œuvre, la
moindre chansonnette de
M
usset
est immortelle. Tant vaut la source, tant vaut le fleuve. Ce qui est triste à la Sorbonne, c’est
qu’ils dissèquent les œuvres, alors que c’est l’auréole qu’il faut étudier. J’aime que tu parles de la noblesse de
S
artre
. On ne peut
mépriser les pièces du
Divan
de
G
oethe
parce que venant de l’arbre elles ont le parfum de l’arbre. Le folklore ne sera jamais que
du folklore, c’est-à-dire
rien
».
H
omère
n’appartient pas au folklore : « c’est un monsieur comme
V
irgile
en mieux, un prêtre de
la Kabbale très informé, aussi informé que l’auteur du
Cantique des Cantiques
. Homère savait l’astronomie, mieux que je ne sais
l’astrologie […] c’est de l’occultisme habillé en mythes ». Il l’encourage à continuer à se former, « et n’écris pas de roman avant
d’être sûr que ton roman sera un des rayons de ton soleil. Aujourd’hui c’est très difficile de faire une œuvre d’art littéraire […] à
moins de vouloir être un amuseur, ce qui n’est pas ton cas. Tu vas te compromettre avant d’être prêt ». Ils parleront de tout cela
lors de sa prochaine visite…
11 septembre
. Il attend ses dates pour réserver une chambre, mais on lui trouvera toujours un lit. « Bien
sûr tu ne prendras pas toutes mes journées mais je pense que je te les donnerai […] Tu travailleras sur mes tables ». Il lui conseille
d’envoyer son manuscrit à Jean
D
enoël
, « excellent critique et conseiller, bienveillant, sévère, et indulgent. […] Adorable Denoël.
Dévouement, certitude. Je considère
l’Étranger
[de
C
amus
] comme la plus remarquable étude que j’aie lue depuis
Oblomoff
.
Incursion nouvelle des régions inexplorées et roman amusant
que
je
voudrais
avoir écrit
– hélas ! ce livre ne peut être apprécié que
par des gens capables de l’écrire »…
17 septembre
. « Je coupe une mèche de votre chevelure et je la mets dans mon portefeuille. Ce
geste me semble une salutation angélique. […] Les cheveux sont le siège des anges. Et si j’ai un cheveu de vous, j’ai “par là même”
un ange vous appartenant. La raison pour laquelle les rois mérovingiens ne pouvaient être admis au trône, si le ciseau était entré
dans leur chevelure, la voici : changer d’anges inspirateurs c’est changer de nature et renier son origine. C’est donc aussi n’être
plus purement de sa race. C’est donc encore être déchu. La chevelure considérée comme titre de noblesse. Je ne plaisante pas plus
que Samson. Tous ces héros de la Bible sont des images d’une vertu du Seigneur. Samson représente la vigueur native de Dieu en
opposition avec les jeûnes, méditations et pénitences de S
t
Jean Baptiste qui sont des forces acquises. […] J’attends la mèche de vos
cheveux et vous embrasse sur votre photographie »… [Au dos, note a.s. de Lefèvre-Pontalis : « J’ai fait un chemin de croix avec Max
Jacob. Je l’aime du plus profond de moi-même ».]
19 septembre
. « Vos lettres sont si exquises que je rougis de mes réponses ». Il a
réussi à arracher 2 chambres à l’hôtelière. Il a lu
Armes et bagages
de Michel
M
anoll
: « c’est très beau mais il paraît que je dois
le répéter pour la réclame. Avec la poésie moderne on ne sait jamais si c’est très beau ou si c’est galimatias double… Les bourreurs
de crâne misent tout sur cette incertitude. Tout le monde n’est pas
R
imbaud
»…
28 octobre
. « Votre petit hôtel sur le Pont Neuf me laisse rêveur.
A
pollinaire
me montrant une fenêtre au coin du quai Malaquais
et de la place S
t
Michel me dit “
B
onaparte
a habité là”. Et moi, je le crus fervemment. J’ai su depuis que le général après Toulon
habita rue de la Chaussée d’Antin […] Apollinaire mentait intelligemment. Ce qui est peut-être mieux que de dire des vérités
bêtes »... On l’accable d’envois de livres à lire, et de tâches… Il aimerait recevoir de Jean-Bertrand « un aperçu des goûts de l’époque
universitaire et des rebelles en matière de philosophie ». Avant, on lisait Tissié
,
Féré, le fils Janet. « Et puis il y a eu Bergson ou
Nietzsche. Où en est-on ? »…. Il conclut : « J’aime qui m’aime mais toujours un peu plus qu’on ne m’aime »…
3 décembre
. « La quotidienneté au sein des catastrophes ? Oui, c’est un thème qui m’a toujours préoccupé. Fabre d’Églantine
écrivant des gaudrioles en 93, André Chénier griffonnant des vers la veille de sa mort ! […] les prisonniers de la Bastille s’offrant le
thé de salon à salon ! etc. les exemples sont infinis »… La vérité pure n’existe pas : « Il n’y a que des vérités relatives […] Décidément
il n’y a de vérités qu’humaines, ou individuelles en tous cas. C’est pourquoi il n’y a en matière d’art d’autre critérium que celui-
ci : plaire ou ne pas plaire, toucher ou ne pas toucher. Le tout est de savoir à qui on veut plaire et qui on veut atteindre. Quant à
atteindre le Beau idéal, … il faudrait d’abord le connaître : il change avec le temps et les frontières et ce n’est que par des démarches
incidentes que nous aimons l’art gothique, roman ou grec. Culture ! Bourrage de crâne ! Soyons humains et c’est tout le moyen de
plaire »…
16 décembre
: « l’essentiel est que le héros du Mythe sera là puisqu’il l’annonce lui-même et que votre introduction n’est
qu’une introduction c’est-à-dire un prologue, une préface »…
O
n
joint
une grande page avec P.A.S. : « modeste homme a / des maux d’estomac / Max Jacob. 43. 13 avril » ; et la copie
dactylographiée d’une lettre de Max Jacob à Christian
D
otremont
, 27 juillet 1942.




