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Je te pardonne de tout mon cœur l’ouverture de la lettre
du Prince, il sera bien en colère quand il apprendra ce que
nous avons manqué. Dans tous mes paquets il n’y a de bien
intéressant pour toi qu’une lettre de M. de Boufflers ; je te
l’envoie, et te prie de me la rendre après l’avoir lue. La faveur
est toujours dans les mêmes mains et la seule différence est
qu’elle a augmenté au plus haut point possible. Je crois que
tu troqueras de bon cœur notre ami Montbarrey
1
pour M. de
Ségur
2
; son fils profitera sûrement de l’occasion pour venir
ici ; je donnerais tout au monde pour voir le Vicomte faire
les honneurs de la maison du Ministre. On me parle d’une
méchanceté que la société a la bonté de faire à une personne
que j’aime ; j’en causerai avec toi, mais il est difficile d’en écrire.
Comment trouves-tu M. le colonel Armand
3
qui reste onze jours
à se rendre de la Rivière du Nord à Boston et par conséquent
mes lettres ne partent pas par l’alliance. À propos de M. Laurens
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je sais fort bon gré à Mme de Lafayette d’avoir écrit au Père
Laurens au moment qu’elle l’a su enfermé à la Tour de Londres.
On lui a renvoyé la lettre ainsi que la lettre de crédit qui y était
jointe, mais quoique la malhonnêteté anglaise n’ait pas permis
que les offres de service soient parvenues, je lui suis infiniment
obligé de cette attention qui est fort aimable. Voilà donc Vauban
de ce côté-ci de l’eau ; je souhaite que notre ami profite de
l’occasion. On me mande que M. de Castries a une maison très
agréable. Fais moi part, mon ami, de toutes les nouvelles que tu
pourras accrocher et je t’en promets tout autant.
Adieu, mon cher Vicomte, fais mes compliments à Charlus et
à nos autres amis, ainsi qu’à Laval et St.-Même. Je t’embrasse
d’aussi bon cœur que je t’aime.
Forgive me with all my heart for opening the letter from the
Prince, he will be quite angry when he learns all that we
missed ; in all my packages the only thing of interest for you
is a letter from Mme de Boufflers ; I am sending it to you, and
ask that you send it back to me after reading it ; good grace
is always in the same hands and the only difference is that it
has increased to the highest point possible ; I think you will
gladly swap our friend Montbarrey for M. de Ségur ; his son
will surely take advantage of the chance to come here ; I would
give everything in the world to see the Viscount do the honors
in the house of the Minister ; I have been told of a malice that
society had the goodness to do to a person that I love ; I will
speak of it with you but it is difficult to write about.
How do you like Colonel Armand who took eleven days to go
from the North River to Boston and as a consequence my
letters do not leave with the alliance ; concerning M. Laurens
I am grateful that Madame de Lafayette had written to Father
Laurens when she heard he had been locked away in the Tower
of London ; he was sent the letter along with the letter of credit
which was attached, but while English dishonesty did not allow
him to receive these offers of service I am most obliged for this
attention which was very kind. So Vauban is on this side of the
water ; I hope that our friend takes advantage of the occasion ;
I have been told that M. de Castries has a very nice house ; let
me have, my friend, all the news that you can get ahold of and
I shall promise you as much.
Farewell, my dear Vicomte, give my compliments to Charlus
and our other friends, as well as to Laval and St.-Même.
I embrace you heartily as I love you.
1. Alexandre-Marie-Léonor de Saint-Maurice, Prince de Montbarrey,
Secrétaire d’État à la Guerre de 1777 à 1780.
2. Philippe Henri, marquis de Ségur, Secrétaire d’État à la Guerre
de 1780 à 1787. Son fils Louis Philippe, comte de Ségur, suivit
Rochambeau en Amérique en 1783.
3. Armand-Charles Tuffin, marquis de La Rouërie, dit « Colonel
Armand » (1751-1793) participa activement à la bataille de Yorktown
(28 septembre-19 octobre 1781).
4. Henry Laurens (1724-1792), négociant en riz, fut président du
Congrès de 1777 à 1778, avant d’être fait prisonnier par les Anglais.
Son fils, le colonel John Laurens, participa au siège de Yorktown. Il fut
tué en Caroline du Sud, en 1782.
RÉFÉRENCES :
Lettres inédites du général de Lafayette au vicomte de
Noailles
, Paris, 1924, pp. 37-39
20 000 / 30 000
€




