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me défendre qu’à demi. Mais la société de Paris s’en consolera
par une chanson, et les malheurs particuliers la touchent
médiocrement. Il est piquant qu’on vienne me chercher à deux
mille lieues pour être le héros de l’histoire du jour, et une femme
qui est à deux mille lieues des coquetteries et intrigues de Paris,
pour en faire la victime de quelque méchante imagination.
Mande-moi, mon cher frère, si l’on t’en parle en plaisantant ou
si vraiment on en fait une sérieuse méchanceté.
Par les dernières nouvelles, l’armée française devait s’approcher
de la nôtre. Peut-être es-tu à New Windsor, mais notre mauvaise
fortune veut toujours que nous soyons séparés. Si Lauzun
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venait ici, et que tu l’accompagnas avec un bataillon, nous
pourrions travailler ensemble. Je n’ai pas besoin de te dire à
quel point je serais heureux de servir avec toi. S’il ne vient pas
de seconde division, la campagne du Nord sera bientôt inactive.
S’il en vient une, il faudra bien rassembler toutes nos forces.
Je te prie, mon ami, de présenter mes hommages à M. de
Rochambeau et de lui communiquer de ma part les nouvelles
que je te manderai. Je désire bien que ma conduite ait son
approbation. Fais mes tendres compliments au chevalier de
Chastellux, MM. de Viomenil, Fersen, Lameth, et mes autres
amis. Embrasse Charlus, Damas, les Deux-Ponts. Adieu, mon
cher frère, tu sais combien je t’aime.
it poorly ; it is ironic that I am being chosen two thousand
leagues away to be the hero of the day, and a woman who is
two thousand leagues from the vanities and intrigues of Paris,
to be made the victim of some wicked imagination ; tell me, my
dear brother, if you are told of it jokingly or if it is really made
into a serious malice.
From the latest news, the French army should be getting close
to ours ; perhaps you are at New Windsor, but our bad luck
would always have us separated ; if Lauzun came here, and
you accompanied him with a battalion we could work together.
I do not need to tell you how happy I would be to serve
with you ; if the second division does not turn up, the North
campaign will soon be inactive ; if this should arise we would
have to assemble all our forces.
I request you, my friend, to pay my respects to M. de
Rochambeau and give him on my behalf the news I will send
you ; I hope my conduct has his approval ; give my tender
compliments to the chevalier de Chastellux, MMrs. de
Viomenil, Fersen, Lameth, and my other friends ; embrace
Charlus, Damas, the Deux-Ponts ; farewell, my dear brother,
you know how much I love you.
1. William Phillips (1731-1781), général britannique. Ses derniers mots,
sur son lit de mort, le 13 mai 1781, auraient été pour Lafayette dont il
entendait les canons : « Won’t that boy let me die in peace ? ».
2. Charles Cornwallis (1738-1805), général britannique qui commanda
les troupes britanniques lors du siège de Yorktown.
3. Benedict Arnold (1741-1801), en livrant le fort américain de West Point
aux Anglais, devint l’un des traîtres les plus connus de l’histoire des
États-Unis.
4. Armand-Louis de Gontaut Biron, duc de Lauzun (1747-1793), au
service de Rochambeau, commanda une légion des volontaires
étrangers lors de la bataille de Yorktown. Il fut chargé de porter la
nouvelle de la victoire à Louis XVI.
RÉFÉRENCE :
Lettres inédites du général de Lafayette au vicomte de
Noailles
, Paris, 1924, pp. 41-48 --
Lafayette in the Age of the American
Revolution,
Cornell University press, 1980, IV, p. 121
30 000 / 40 000
€




