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HISTOIRE

Les soldats sont maintenus en ligne qu’ils réussissent ou échouent, ne

pouvant espérer du repos qu’avec 40% de pertes. « Il faut entendre

ces discours violents : c’est à qui restera dans les tranchées au départ.

C’est à qui fera camarade. On n’entend que menaces de mort contre

les généraux : Bulot surtout »… Loys est d’accord avec les poilus : « Non

ce n’est pas la France que nous servons. C’est l’ambition des chefs

de la politique et de l’armée. Tant que nos ošciers ne se donneront

pas plus de peine pour leur métier nous n’aurons pas la victoire. La

victoire je n’y crois plus. D’ailleurs nous n’en sommes pas dignes à

aucun point de vue ni militaire, ni diplomatique, ni moral, ni religieux,

ni intellectuel, ni scientifique, ni surtout méthodique »… Et de pointer les

raisons pour lesquelles la victoire leur a échappé, dans la journée du

16 avril : erreurs des chefs, réserves insušsantes, etc. « Si BAZELAIRE

n’est pas capable de commander

qu’on le fusille

, au lieu de cela on va

l’envoyer à Cannes. Un poilu qui dans son épouvante abandonne la

ligne de feu au combat est fusillé, un général qui fit massacrer 30 ou

40 mille hommes comme Seret à l’Hartmannswillerkopf et Bazelaire

à Loivre est mis en disponibilité. […] Comment aurait-on confiance

et le soldat a-t-il tort de crier nous sommes trahis. Ah ! les Boches

ont bien raison grâce à la supériorité de notre commandement

nous avons arrêté l’oÀensive française du 16 avril. Ces gens font la

guerre. Chez nous c’est l’intérêt personnel qui prime tout […]. La croix

de guerre est la plus déplorable invention qui se soit faite en cette

guerre. Que de souÀrances que de sang répandu pour que le ruban

vert et rouge orne la poitrine des généraux. On a bien eu raison de

mettre du rouge au ruban ! Ce rouge rappellera aux ošciers que cette

décoration a été gagnée par le sang de leurs hommes »…

Reims 3

mai

. Déploration des ruines de Reims…

Fort Saint-Thierry (Marne) 4

mai

. Relève désordonnée, « le Français étant définitivement incapable

d’organiser la chose la plus ordinaire. Comment peut-on rester

socialiste quand on voit la négligence, le je m’en fichisme général

dans cette entreprise collective qu’est la guerre ? »…

[Secteur du Blanc

de craie (Marne)] 6 mai

. Altercation avec un jeune ošcier alors que

Roux enterre un soldat : « Ces gamins s’imaginent que leur galon d’or

les rend plus intelligents qu’un poilu de 35 ans, infirmier, brancardier

depuis 2 ans 8 mois »…

[Ville-en-Tardenois (Marne)] 1

er

juin

. Long récit

d’une mutinerie, « fait capital » qui se produit à la veille de remonter

en ligne : le rassemblement d’une centaine d’hommes du 23

e

R.I.

qui crient « “à bas la guerre ! à bas la guerre ! on ne remontera pas.”

Au-dessus des têtes une loque rouge au bout d’un bâton. C’est un

morceau de ceinture rouge »… Le soir, manifestation nombreuse et

paisible dans le village : « Ces gens-là ne donnent pas l’impression de

révolutionnaires mais d’hommes convaincus de leurs droits et décidés

à les revendiquer. […] Nous sommes heureux, follement heureux. Car

cette manifestation, cette révolte des soldats las de se battre sous

des chefs incapables et tracassiers pour un pays où la guerre ruine et

tue les uns et enrichit les autres, cette révolte c’est la fin de la guerre,

par moment. Dit messe X. Beau. Ai le noir »… Suivent plusieurs

pages de réflexions tardives sur la question du commandement :

son désaccord avec son père, avec les mauvais éducateurs des

séminaires, sa déception à l’armée… Remarques sur son évolution

politique : royaliste, le Sillon de Marc Sangnier…

[Bois du Sommet,

plateau de la Pépinière (Somme)] 13 septembre

. Longue lettre à

son frère André, dénonçant les « bourrages de crânes, du

Matin

particulièrement », concernant l’esprit combattif des troupes. Il livre

des impressions éprouvées en parcourant le terrain de leur attaque

du 30 juillet, « parsemé de cadavres boches d’abord, et plus loin,

hélas, français. Ici le long d’un boyau aboutissant au petit bois du

Sommet des soldats du 22

e

R.I. furent tués à leur poste de combat

par notre artillerie. Nos obus firent là du très bon travail. Par endroit le

boyau, peu profond d’ailleurs, était méconnaissable. Combien purent

s’échapper ? Bien peu […]. Sous le feu de notre artillerie, les survivants

du boyau durent se replier avec perte, vers le bois, lui-même soumis

à un tir de destruction eÀroyable qui réduisit les arbres à l’état de

poteaux télégraphiques et creva les abris. […] Un peu partout des têtes

de mort, des ossements et une horrible bouillie où ne se pouvait

reconnaître ce qui fut boche, ce qui fut français »… Récit illustré d’une

photographie de « Tête de Boche »…

[Bois du Sud] 15 septembre

. « Je

porte des croix sur les tombes. Des fusils agités par le vent semblent

appeler une croix pour que la tombe sorte de l’anonymat. Je prends

des photos macabres dont 2 boches. […] Lamentable spectacle. Oh !

la guerre. Qu’on amène ici ceux qui veulent la guerre à outrance.

C’est une infecte bouillie humaine. Ici un bras, un pied, une capote

pendue aux arbres avec les bras dans les manches »… Nombreuses

photographies de cadavres en décomposition.

1917.

Gueux (Marne) 26 avril

. Contrordre donné aux permissions

tant attendues. « Et voilà ! C’est du français tout pur : tâtonnement,

indécision, ordre, contrordre et mépris total du moral du troupier »...