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4.
Louis ARAGON
(1897-1982). L.A.S. « Louis A. », 11 [mars 1919], à Jean
C
octeau
; 4 pages in-8, enveloppe
avec cachet postal.
2 000 / 2 500 €
B
elle
lettre
pleine
d
’
admiration
à
J
ean
C
octeau
,
à
la
publication
de
son
poème
L
e
C
ap
de
B
onne
E
spérance
.
[Les rapports d’Aragon et Cocteau furent souvent orageux, mais des relations plutôt amicales précèdent, entre 1918
et 1920, une longue mésentente, puis un rapprochement et une vraie proximité dans les dernières années de la vie
de Cocteau. Écrite avec une verve étourdissante, cette lettre témoigne d’une grande admiration, en même temps
qu’elle veut séduire, par son brillant, celui que le jeune Aragon, alors soldat en Sarre, considère comme son aîné. La
disposition des lignes et des paragraphes donne parfois volontairement à cette lettre l’allure d’un poème.]
Il le remercie d’abord pour son livre : « Mon ami, ce livre m’a touché : touché comme on dit atteint.
Parade
en est
le cœur, il tourne autour, doux entremêlement des bras du lierre et de l’arbre. Et si vous saviez combien
en
temps
et
lieux
Parade
a su m’émouvoir. Ce moment suprême une pause dans la guerre un palier / un carrefour aussi des
arts et des admirations qui se croisent : beau nœud quelles mains pures il faut pour te délacer. Les tronçons du
serpent seraient sanglants comme les membres arrachés aux statues antiques : aussitôt le sang s’est enfui, il ne reste
plus que des marbres. […] Et toute la
merde
Monsieur qu’ont déposée nos contemporains là-dessus, cela vous fait
parfois avec le recul
plus grand que nature
. Tout un après-midi je suis resté avec vous, malgré les affaires courantes,
m’étonnant d’habiter à Sarrebrück justement dans […] la Rue des Coqs et maintenant je possède votre portrait par
P
icasso
“Portrait de Monsieur Coq / par Monsieur Kodak” […]. Mais avez-vous vraiment ce regard merveilleux perce-
neige que l’Homme-bleu vous donne en 1916 si je sais lire ».
Il n’avait fait que l’apercevoir aux éditions de la Sirène… « J’écris devant votre visage comme un homme qui fait des
gestes au téléphone […]. Les mots accourent sans avoir pris la précaution de se vêtir, nus, sans art = artifice. Car le
cœur ne s’exprime qu’en formules sèches et figées, à cause de l’émotion. Je transcris infidèlement comme s’il s’agissait
d’une copie au baccalauréat : Un ému est toujours un mauvais poète. Les lettres d’amour qui bouleversent s’écrivent
en fumant une ironie ou cigarette tandis que par-dessus l’épaule un ami lit et ricane sur le ton aigu des créatures en
chemise au petit matin. Jadis la lettre dans
Nord-Sud
m’avait ému aux larmes. Je l’ai retrouvée comme une fleur dans
votre livre. Votre chef d’œuvre. Il faut vous le dire. Et ce morceau saignant du
S
acre
: la promenade en taxi – je songe
aux pires émotions littéraires, dans
S
tello
,
la mort d’André Chénier. […]. Ne recommencez pas tous les jours ces
plaisanteries vous tueriez trop d’adolescents »…
Sa maîtresse allemande lit par-dessus son épaule sa lettre, mais elle ignore le français : « aussi avons-nous pour
l’amour une langue liturgique, comme la religion le latin, l’allemand qui chante sur le ton de l’obscène les nuances
infinies du cœur ». Il parle ensuite de
G
ide
: « Mon Dieu
les Nouvelles Nourritures
. Savait-il qu’il me parlait plus qu’à
tout autre. J’ai trop de pudeur pour rien dire ». Il termine par un bref poème en allemand et ajoute : « Et au bas de la
devinette on lit
cherchez
la
sirène
»…




