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3.
Guillaume APOLLINAIRE
(1880-1918). L.A.S., Paris 8 juillet 1918, [à
M
isia
S
ert
] ; 4 pages petit in-8, en-tête
Ministère des Colonies, Cabinet du Ministre
(petite fente réparée à un pli).
4 000 / 5 000 €
S
uperbe
lettre
,
quelques mois
avant
sa mort
,
dans
laquelle
il
défend
et
explique
son
recueil
C
alligrammes
,
que Misia Sert avait jugé sans le lire attentivement.
« La lettre que je voulais vous écrire n’avait pour but que de vous remercier pour votre franchise et aussi de protester
très doucement contre ce jugement porté sur un livre à peine parcouru. N’ayant qu’un goût médiocre pour la poésie
en général, ne fûtes-vous pas entraînée à le détester aussitôt parce qu’il s’agit de poèmes et que ceux-ci traitent
de la guerre.
G
oethe
, lui aussi (dont vous goûtez les poésies traduites en prose) a écrit un livre de guerre, épopée
bourgeoise s’il en fût jamais :
Hermann et Dorothée
! Je ne sais si vous trouvez cette idylle plus bouffonne que mes
Calligrammes
? Avec tout le respect que m’inspire le grand européen de Weimar, je la trouve embêtante. Je n’aurai
certes pas le front de faire moi-même mon apologie, mais accordez-moi qu’il n’y a dans mes livres, assurément variés
touchant le fond et la forme, touchant surtout la matière poétique, aucun esthétisme. La guerre qui est chantée dans
Calligrammes
sort de moi-même, elle est en connexion étroite avec ma vie. N’est pas l’excuse et la raison de ce livre
que j’aie fait la guerre ? Et puis j’y ai mis si peu de choses de guerre. Et y a-t-il vraiment autre chose dans ce livre que
de la vie, de l’espoir, de la souffrance transfigurée autant qu’il m’a été inspiré ? Tout cela apparaîtrait mieux sans doute
à la très belle lectrice qui se donnerait la peine de lire le recueil et de laisser chanter les poèmes qui s’y trouvent. Les
textes lyriques veulent et valent qu’on les sollicite »… Il ne se souvient plus si Goethe détestait la guerre : « je considère
qu’elle peut être pour la France un bien et cela suffit pour que je ne la déteste pas, puisque d’autre part je ne me
suis jamais ennuyé sur le front »… Puis il rapporte une amusante conversation avec le baron F. à propos d’
Hermann et
Dorothée
, où ce dernier compare l’apothicaire à M.
H
omaïs
: « Et ce tréma si particulièrement éloquent, coupant court
à une conversation trop profonde, me laissa perplexe touchant la question de savoir, si en effet, il n’y a pas quelque
chose de Goethien chez Flaubert. Je n’ose examiner la même question à mon propos bien que je sois né à la même
date que l’auteur de
Faust
»…




