16. COCTEAu (Jean).
J
OURNAL
1911-1912
. [Avril 1911 et 28 juin 1911-avril 1912]. M
ANuSCRIT AuTOGRAPHE
de 91 pages, dans un ancien et grand album du XIX
e
siècle in-folio (405 x 318 mm) de 80 feuillets lignés
(les 11 derniers remplis recto-verso), Bradel vélin, encadrement d’un double filet à froid, dos muet, tranches
marbrées.
30 000 / 40 000 €
P
RéCIEuX JOuRNAL DE JEuNESSE INéDIT
.
Offert en juin 1911 par la peintre Romaine Brooks (ainsi que l’atteste une note autographe sur le f. 1), ce journal est
commencé le 28 juin 1911 à Maisons-Laffitte, propriété familiale où le jeune Cocteau passait ses vacances. Il couvre toute
la vingt-deuxième année de Cocteau, allant jusqu’à l’été 1912. Entre le 23 et le 24 août 1911, il recopie aussi des pages
concernant sa rencontre avec l’impératrice Eugénie au Cap Martin, en avril 1911, grâce aux Daudet. écriture à l’encre bleue
ou noire, nombreuses ratures.
N
OTES Au JOuR LE JOuR
. Cocteau collectionne diverses pensées ou maximes, rapporte des choses vues et entendues, sous
forme de paragraphes distincts, séparés par une petite étoile et souvent précédés de la date du jour. De ce fourmillement
d’idées qui s’enchaînent au gré des humeurs du jeune poète et des évènements qu’il rencontre, on ne peut donner ici qu’un
très faible aperçu. Il aborde des sujets aussi divers que la beauté de la pleine lune, les journées qui passent, les drogues,
Bayreuth (
La Walkyrie
), Dieu, la musique, la peinture, la quatrième dimension, les feux d’artifice, les voyages en voiture,
la mode (en dandy, il écrit le 17 août 1921 :
Je ne connais pas de sensation comparable à celle de se sentir élégant, d’une
manière à la fois molle et impeccable
. […]
Le génie ne doit pas exclure l’élégance
), etc. Le thème de la mort est aussi
omniprésent.
En jeune successeur de La Rochefoucauld, il résume le monde en de spirituelles maximes :
Notre cœur l’appareil digestif
de ce que nous avalons par les yeux et les oreilles
(20 janvier 1912) ;
Les personnes géniales ont d’avance le masque grave,
éternel et muet de la mort
(16 février 1912) ;
Il ne faut jamais qu’un artiste se réjouisse lorsqu’on lui vante son intelligence,
sa perspicacité, sa conversation, car toutes ces choses se payent en faiblesses dans une œuvre
(26 février 1912) ;
Il y a des
gens qui ferment les yeux aux morts. Les poètes sont chargés de les ouvrir aux vivants
(28 août 1911) ;
Lire, aller au théâtre,
fumer, se voir, faire des volumes, aimer, c’est jouer aux cartes en wagon. D’abord on joue pour se désennuyer, puis on prend
goût au jeu et c’est avec malaise qu’on pense à la gare finale vers laquelle l’express vole
(17 juillet 1911), etc.
A
NECDOTES DE SON MONDE
. Les parties rédigées à Paris recèlent un grand nombre d’anecdotes sur la haute société du temps
qu’il côtoie : Astruc (qui le 30 juin lui fait visiter le futur Théâtre des Champs-Elysées), Stravinsky, Mme Stern, Anna de
Noailles, Sem, Lucien Daudet, Mme Daudet (dont il retranscrit de nombreux souvenirs concernant son mari, notamment
son dégoût de Leconte de Lisle), Mme Simone, Jean et Boni de Castellane, Jules Lemaître, Anatole France, Camille Doucet,
D’Annunzio, Sacha Guitry, Mardrus, Ajalbert, les Rothschild, l’impératrice Eugénie (qui, à moitié endormie, au nom de
Mme Sand, demande :
pour madame de qui ?
), les Rostand, Marie Scheikévitch, Romaine Brooks, l’abbé Mugnier, Jarry,
Jacques-Emile Blanche (dont il visite l’atelier le 25 janvier 1912 et qui, peu après, va commencer son portrait), etc. De ces
rencontres, il retient souvent une histoire piquante ou cite une réplique spirituelle, comme celle de la domestique de Proust :
Naturellement que la terre tourne ! avec tous ces tramways, tous ces automobiles, toutes ces machines !
(16 juillet 1911).
Il relève aussi les événements historiques qui le marquent : des saboteurs faisant dérailler un train, le vol de la Joconde (elle
n’est plus au Louvre. Elle sourit chez quelqu’un
), sa rencontre avec l’impératrice au Cap Martin, le naufrage du
Titanic
... Il
34
Jean COCTEAU
(1889-1963)
23




