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F

OISONNANTE

,

CETTE CORRESPONDANCE SEMBLE éCRITE à TOuTE VITESSE

: le style souvent télégraphique de Cocteau retranscrit

le bouillonnement de son activité créatrice et mondaine. Au jour le jour, sur près de cinq ans, on suit la gestation de

Parade

,

on lit les angoisses et les joies de l’écrivain, ses rencontres, ses voyages. Cocteau livre sans retenue ses états d’âme (ceux

du front l’entraînent dans de très belles évocations poétiques), ses malentendus avec la troupe de

Parade

, ses espoirs de

coopérations artistiques, ses angoisses (

tristesse et somnambulisme sans nom

...), ses amours, l’élaboration de ses œuvres :

Le Potomak

,

Le Cap de Bonne-Espérance

,

Vocabulaire

,

Le Secret du bleu

,

Le Coq et l’Arlequin

,

La Noce massacrée

,

Les

Mariés de la Tour Eiffel

,

Le Secret professionnel

,

Thomas l’imposteur

... (Nous ne pouvons donner ici qu’un trop rapide

aperçu de la richesse du contenu).

En septembre 1916, Cocteau défend l’importance de son texte dans

Parade

, loin de n’être qu’une pièce de musique :

Faire

comprendre à ce cher Satie en pénétrant les brumes d’apéritifs que je suis tout de même pour quelque chose dans Parade

et qu’il n’est pas seul avec Picasso. Je crois Parade une sorte de rénovation du théâtre et non un simple “Prétexte” à

musique. Il me peine lorsqu’il hurle et trépigne à Picasso : C’est vous que je suis ! C’est vous mon maître ! (sic)

. [3 septembre

1916]. En mai 1916, il dit à propos de Picasso :

Ce matin pose chez Picasso. Il commence une tête “Ingres” très pour en

justif. des œuvres du jeune homme après sa mort prématurée.

[…]

Connaissez-vous Léonce (!) Rosenberg qui achète les

toiles cubistes = ? un vrai marchand qui vante “le style” et “l’affranchissement du peintre moderne”

[…]

Enfin un homme,

un juif qui achète — cher — les peintures sans être modiste ou dilettante. On aime sa bêtise. Picasso se demande s’il ne va

pas jusqu’à feindre une attitude pleinement idiote

[…]

Picasso voulait m’entraîner à l’hôpital italien voir Apollinaire

[…]

mais l’embrouille me semble trop grande entre Apollinaire et ce que je pense de lui et ce qu’il pense de moi pour que je

consente tout de go à ce contact.

[1

er

mai 1916]. Plus tard, il est question de la brouille avec Anna de Noailles :

Hier drame

chez Edith Wharton entre A. de Noailles et moi. Prise de bec. Prise de cheveux à propos de Claudel

[…]

Je lui ai dit qu’il

valait mieux avoir le snobisme de Dieu que celui de ministres

[…]

Pneu de Satie. “Très épatant”, dit-il. Est-ce là du chaud

dans sa langue de Faune ?

[2-3 mai 1916]. Au travail de

Parade

, le moral est bas :

Suppose Parade rêve, impossible imaginer

que je suis autre chose que cette loque glacée sur ses routes. Remonterai-je les pentes atroces de la fatigue ?

[9 mai 1916].

La réponse de Valentine dut le calmer, puisqu’il écrit plus tard :

Grâce à vous calme revient et fleurs japonaises

s’épanouissent.

[…]

Lettre admirable de Satie. Vive Cocteau, dit-il. Rien ne pouvait me toucher plus

[12 mai 1916], ou

encore, vers le 9 juin 1916 :

Comment vous remercier ? Stupide remercier rose de son odeur et ciel de ses étoiles. Vous êtes

merveilleuse de naissance comme d’autres laides ou méchantes. Je vous respire et me porte mieux

. Plusieurs des lettres

évoquent la guerre :

On se couche dans le sable ébranlé de canon, de torpilles qui s’écrasent autour de cette cure étrange

.

[…]

Cette nuit sur des routes noires au milieu des obus, des fous-rires et des sentinelles sourdes, nous vous évoquions

jusqu’à vous croire des nôtres

[12 mai 1916]. Il rassure aussi son amie (

Le Front marche et nous laisse en place. Donc

soyez calme. Obus loin

), dans une lettre qui se termine par ces exclamations :

Vous voir ! Non voir ! Voir Erik ! Voir Vivre

et créer

. [11-12 juillet 1906]. En août 1916, dans une lettre qui évoque Apollinaire,

qui fait des poèmes en forme de croix

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