19. COCTEAu (Jean) — [RADIGuET (Raymond)]. P
RéFACE Au
B
AL DU COMTE D
’O
RGEL
. M
ANuSCRIT AuTOGRAPHE
SIGNé
, [1924], 6 pages sur 6 feuillets in-4 (269 x 211 mm), écrites à l’encre brune, ratures et corrections, sous
chemise demi-maroquin moderne.
6 000 / 8 000 €
P
REMIER JET DE DE LA CéLèBRE PRéFACE
:
R
AYMOND
R
ADIGUET EST NÉ LE
18
JUIN
1903 ;
IL EST MORT
,
SANS LE SAVOIR
,
LE
12
DÉCEMBRE
1923,
APRÈS UNE VIE MIRACULEUSE
.
Mort à vingt ans, en 1923, Radiguet laissait un roman inédit,
Le Bal du comte d’Orgel
, que ses amis, dont Cocteau, firent
publier chez Grasset en 1924. Le livre s’ouvrait par une préface de Cocteau (parue d’abord dans
Les Nouvelles littéraires
le 28 juin 1924), qui deviendra célèbre et dont nous avons ici le manuscrit de premier jet. Manuscrit très émouvant, car il a
été écrit sous le coup de la mort de Radiguet. Il donne un premier état du texte : certains passages de l’imprimé ne s’y
trouvent pas encore, tandis que d’autres sont par contre
RESTéS INéDITS
. Cocteau a notamment supprimé une phrase sur le
délabrement final de Radiguet (
Depuis quatre mois, un vagabond souhaitait guérir sa longue fatigue, traînée de chambre
d’hôtel en chambre d’hôtel
), et un détail sur son agonie, qui attestait leur intimité :
il considérait ses mains, il me touchait
les cheveux
. Cependant, ce manuscrit est absolument complet, Cocteau se bornant par la suite à ajouter quelques passages,
modifier certaines phrases, et inclure les trois notes de Radiguet dans un post-scriptum.
Ce très beau texte est, en quelque sorte, la nécrologie de Raymond Radiguet d’un ami disparu trop tôt, que Cocteau avait
profondément aimé et qui le fascina :
Raymond Radiguet est né le 18 juin 1903 ; il est mort, sans le savoir, le 12 décembre
1923, après une vie miraculeuse. N’accusez pas le destin. Ne parlez pas d’injustice. Il était de la race grave dont l’âge se
déroule autrement.
Mais, souligne Cocteau, Radiguet
donne une dernière leçon de savoir-vivre ; il meurt au plus bel âge,
pour
vivre
mieux.
Il sentait bien qu’il allait mourir :
Il classait, il recopiait. Et même, la mort m’éclaire son désordre fou : il fallait y voir
l’enchevêtrement d’une machine qui taille le cristal
[…]
Raymond Radiguet change de forme.
Dans un passage très poignant,
Cocteau rapporte sa dernière rencontre avec Radiguet, terrassé par la typhoïde :
Ecoutez, me dit-il le 9 décembre, écoutez
une chose terrible. Dans trois jours — approchez-vous — dans trois jours je vais être fusillé par les soldats de Dieu. Comme
j’étouffais de larmes, que j’inventais des renseignements contradictoires : Vos renseignements, continua-t-il, sont moins
bons que les miens.
L’
ORDRE EST DONNé
. J’ai entendu l’ordre.
Plus tard, il dit encore :
Il y a une couleur qui se promène et
des gens cachés dans cette couleur.
Cocteau décrit ensuite l’agonie de son ami.
Il laisse trois volumes. Un recueil de poésies
qui est une voix d’ange, L
E
D
IABLE AU CORPS
, chef d’œuvre de promesses, et les promesses tenues : L
E
B
AL DU COMTE D
’O
RGEL
.
Cet ouvrage, il en reçut les épreuves, déjà malade. Il se proposait de ne faire aucune retouche. Il cherchait le négligé de la
véritable élégance. Un tel négligé résulte d’un incroyable travail. On serait donc irrespectueux d’y mêler la mort.
Après
avoir évoqué les autres œuvres de Radiguet, il termine par la phrase célèbre :
Le seul honneur que je réclame est d’avoir
donné pendant sa vie à Raymond Radiguet, la place illustre que lui vaudra sa mort.
Les trois premières pages, comportant de nombreuses ratures et corrections, sont constituées par la préface, signée. Les
trois autres pages présentent des notes très denses, véritable transcription par Cocteau des notes littéraires laissées par
Radiguet. Dans celle intitulée
Notes. Septembre 1920. 10 heures du matin. Vendredi,
Radiguet évoque les enfants prodiges :
L’âge n’est rien. C’est l’œuvre de Rimbaud et non l’âge auquel il l’écrivit qui m’étonne. Tous les grands poètes ont écrit à
dix-sept ans. Les plus grands sont ceux qui parviennent à le faire oublier
. Dans celle titrée
A propos du Diable au corps,
Radiguet écarte toute intention autobiographique :
On a voulu voir en mon livre des confessions. Quelle erreur ! Mais tous
les prêtres connaissent bien ce mécanisme de l’âme
…,
de fausses confessions, celles où l’on se charge de méfaits non
commis, par orgueil.
Et enfin,
Le Bal d’Orgel — roman où c’est la psychologie qui est romanesque.
[…]
Roman d’amour
chaste aussi scabreux que le roman le moins chaste
. Ces trois notes se retrouvent intégralement dans l’imprimé, en post-
scriptum à la préface.
P
RéCIEuX MANuSCRIT
.
Traces de pliures en quatre.
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