20. COCTEAu (Jean) — [STRAVINSKY (Igor)]. M
ES
S
OuVENIRS
1924-1927. M
éMOIRE SuR LA NAISSANCE
D
’
Œ
DIPUS REX
.
M
ANuSCRIT AuTOGRAPHE
, sans date, 27 pages in-folio (322 x 240 mm) sur papier pelure, dont
26 montées sur onglets et un feuillet volant, certaines très corrigées, reliées en un volume maroquin noir, le
titre
Œdipus rex
poussé à froid sur le premier plat, les deux plats entièrement décorés de grands mono-
grammes classiques :
I.S.
[Igor Stravinsky] mosaïqués en veau vert foncé sur trois rangs,
J.C.
[Jean Cocteau]
mosaïqués de petites bandes horizontales de veau de divers tons, avec plusieurs étoiles de Cocteau en filets
dorés disséminés sur l’ensemble, doublure avec encadrement de veau vert clair, gardes de papier, chemise
demi-maroquin noir, étui (
Paul Bonet, 1946
).
30 000 / 40 000 €
M
ANuSCRIT INéDIT SuR SA COLLABORATION HOuLEuSE AVEC
S
TRAVINSKY
.
Fruit de la collaboration de Cocteau et de Stravinsky,
Œdipus rex
fut représenté le
30 mai 1927 au Théâtre Sarah-Bernhardt. La genèse en fut assez mouvementée,
Cocteau s’étant d’abord brouillé avec le musicien, puis réconcilié début 1926. Ils
travaillèrent alors de concert, Stravinsky achevant sa partition le 10 mai 1927.
à l’évidence, ce manuscrit constitue un règlement de comptes, et Cocteau rétablit sa
vérité. Le ton est donné dès la note liminaire :
J’ai promis à Igor Stravinsky de garder
le silence sur les rouages secrets d’Œdipus rex. Je tiendrai ma promesse. Mais je n’ai
pas promis de me taire sur les circonstances qui entourent sa genèse et sa
représentation.
Sans doute ce texte appartenait-il, dans la pensée de son auteur, à un
projet plus large, indiqué par le sous-titre :
Mes souvenirs 1924-1927.
(Il est piquant
de remarquer qu’en 1957, Cocteau écrira un long et vibrant poème intitulé
Hommage
à Igor Stravinsky
.)
Dans ce vigoureux plaidoyer
pro domo
, Cocteau rejète tous les torts sur son ancien
ami, avec une insistance qui ressemble à de l’acharnement. Très vivant et écrit avec
un certain brio, ce texte, où Stravinsky est littéralement criblé de flèches, constitue
une chronique détaillée de la genèse de l’opéra. Après avoir protesté :
J’ai toujours
adoré, admiré Stravinsky, et sans réserves,
Cocteau rappelle qu’il s’était brouillé avec
le musicien en 1916 à cause de Diaghilev et du
Coq et l’Arlequin
. La raison ?
Une
sorte de folie religieuse où il venait de se jeter,
[…]
qui le poussait à se méfier des Thomistes, à s’ériger en tribunal, à
trouver tièdes les prêtres et frivoles les fidèles, à reconnaître le diable partout, à ne dévorer que la vie des Saints et des
Saintes, à ne plus recevoir personne que le pape
[sic]
et à communier chaque semaine, ce qu’il menait de front avec un
double ménage sous le regard émerveillé des siens.
Ils renouèrent en 1923 :
Je venais de publier Plain-Chant. Ce poème
l’avait frappé. Il n’entend pas grand’chose à la poésie, mais il le trouvait classique
[…]
Avec mille silences et détours il me
parla d’une collaboration possible.
Evocation d’un voyage en train :
Il prenait toujours un sleeping pour lui seul et il
m’offrait la place vide. J’appris plus tard, de son propre aveu, qu’il obtenait le demi-tarif et que, par conséquent, ma place
remboursait le voyage.
Lors d’un séjour à Villefranche, ils décident de collaborer :
il me parla de son désir de faire un opéra
et que j’en écrivisse les paroles. Il les souhaitait en latin pour établir une œuvre phonétiquement définitive. C’était l’Eglise
qui le hantait, mais avec son goût infaillible, il voulait éviter les sujets religieux.
Des problèmes ne tardent pas à surgir :
Je travaillais sans trêve. Dans le train qui nous ramenait encore en ville, je lui lus
mon texte. C’est superbe, me dit-il, trop superbe hélas !
[…]
Il avait raison. Je m’étais laissé prendre. J’avais écrit une
pièce, je n’avais pas écrit un livret. Le coup était dur. La figure dans les mains, Stravinsky se taisait, se mordait les lèvres,
relevait la tête.
Il se remet au travail :
Nous vivions Stravinsky et moi dans l’intimité la plus étroite. Igor avait acheté une
voiture neuve et m’avait emmené de Paris à Nice, où il conduisait sa maîtresse pour l’avoir davantage sous la main. Il était
fou d’amour et s’en ouvrait à Catherine. Catherine et Mme X se jettent dans les bras l’une de l’autre et pleurent des larmes
russes. Igor se confessait, communiait et recommençait et recommençait.
Suivent, après diverses
anecdotes de route
, de très
LONGuES EXPLICATIONS SuR DES INCIDENTS RéPéTéS METTANT EN SCèNE
D
IAGHILEV ET SuRTOuT LA PRINCESSE DE
P
OLIGNAC ET
C
OCO
C
HANEL
,
MéCèNES quE
S
TRAVINSKY
entendait bien utiliser au
maximum :
On m’avait raconté qu’à un déjeuner chez la princesse de Polignac, Diaghilev s’était plaint de n’avoir plus
d’œuvres importantes
[…]
de Stravinsky. Igor marche si on le paye, dit madame Sert
[…]
Stravinsky devint rouge de colère.
Il trépignait, il hurlait : Je ne veux pas un sou de cette dame Sert. Enfin il se calma et ajouta : Je ne veux pas un sou de cette
dame à moins qu’elle ne s’inscrive sur une liste. Il faut trouver un million.
[…]
Stravinsky parle de Chanel. Je savais qu’il
avait rompu sa longue et intime amitié avec Chanel du jour au lendemain parce qu’elle refusait d’être sa maîtresse, qu’il
lui avait emprunté de grosses sommes et une maison à Biarritz
[…]
qu’il ne la saluait même plus et ne parlait ni de rendre
la maison ni les sommes.
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