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les collections aristophil
LES ANNÉES 1920 - 1930
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MERMOZ JEAN
(1901-1936)
Chant de Damné
,
L’Art
,
Découragement et Amertume
,
et
Quand une femme m’aimera
, manuscrit autographe
de quatre poèmes.
S.d. [vers 1918-1920], 5 pages in-4 à l’encre sur papier.
3 000 / 4 000 €
Bel ensemble de quatre poèmes de jeunesse, influencés par la
lecture de Baudelaire et Verlaine.
Chant de Damné, poème satanique de 46 vers : « Je suis bien
malheureux. Les jeunes filles se moquent de moi/Les Oiseaux s’arrêtent
de chanter quand j’erre par les bois/La bête me fuit, la femme me
fuit, l’Homme me fuit/Ô que la Vie est triste lorsque l'on est maudit
! / À moi Satan/Roi des Vivants/Secoure-moi dans ma peine/Incarne
ta colère souveraine/En moi ton serviteur […] » ;
L’Art compte 6 tercets : « L’Art profond laboureur des cerveaux fertiles/A
laissé s’égarer dans ma tête débile/Une parcelle de sa semence […] » ;
Découragement et amertume compte 6 quatrains (au verso, le début
du premier vers avec le titre Révolte) : « Personne ne m’aime, oui
ce n’est que trop vrai !/Mes amis me délaissent car je ne suis pas
gai/Ma sœur même me détesterait si j’avais une sœur/Personne ne
m’aime : on dit que je n’ai pas de cœur [...] Je sens monter en moi
une foule de désirs/Je veux vivre la Vie, épuiser ses plaisirs/Puis
l’orage s’apaise quand je vois ô douleur/Ma mère, ma pauvre mère
qui se tait… et qui pleure ! » ;
Quand une femme m’aimera, poème sans titre de 4 quatrains :
« Quand une femme m’aimera, quand j’aimerai cette femme/Je lui
donnerai mon corps avec toute mon âme/Et toutes les richesses et
tous les trésors que je possèderai/Elle en sera la reine parce que je
l’aimerai ! […] ».
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MERMOZ JEAN
(1901-1936)
L’École
, manuscrit autographe.
Vers 1927-1928, 16 pages et quart in-4 à l’encre sur papier
avec ratures et corrections.
15 000 / 20 000 €
Important manuscrit autobiographique racontant son apprentissage
de pilote à l’école d’aviation militaire d’Istres en 1920.
« Un soir d’Octobre de l’année 1920, je posais le pied pour la première
fois sur le sol de Provence et cela sans hésitation aucune : je me
sentais l’âme d’un conquérant et de fait, mon affectation d’élève-pilote
à l’École d’Aviation d’Istres me donnait suffisamment d’importance,
à mes yeux, pour qu’il en fût ainsi ». Il arrive de nuit par le train,
rencontre à la gare deux autres militaires. Tous trois se dirigent à pied
dans la nuit vers le camp d’aviation, dans le mistral : « Et puis ce fut
la Crau, une sorte de désert gémissant sous le vent, peuplé d’oliviers
et de pins rabougris se découpant en noirs squelettes sur l’horizon
grisâtre. Nous ne disions rien, courbés sous les rafales, sautant les
ornières de la route défoncée et interminable ». Arrivés au camp, ils
doivent partager les paillasses des autres soldats déjà endormis :
« Je rêvai longtemps de spirales, d’hélices calées, de looping et
de vrilles sur un avion idéal dont j’étais le merveilleux pilote. Ce fut
ma première nuit aéronautique ». Installation. Le lendemain, il est
affecté à une chambrée. « On me remit deux tenues réglementaires,
deux vestes et deux pantalons de toile bleue rapiécés, une paire de
godillots datant au moins de 1913 ou 14 mais c’est avec un véritable
bonheur que je me vis remettre le casque de cuir, les lunettes, les
gants fourrés et la combinaison de vol. Un peu plus tard, ma joie fut
complète quand je reçus l’insigne d’élève en argent. Je commençais
seulement à croire que maintenant je prenais définitivement un rang
dans l’aviation et ne désespérais plus de devenir un as ! Discours du
commandant VOISIN : « C’était un vieux de l’aviation, pilote à son
déclin mais d’un cran inouï et qui donnait l’exemple en continuant à
voler chaque jour à 52 ans. Il devait mourir en véritable apôtre deux
ans après d’une chute de cinquante mètres en vrille. Suicide…murmura-
t-on ? Faute de pilotage probablement à un âge où les réflexes sont
sensiblement affaiblis ». Puis l’adjudant-chef COSTA, « Corse féroce
et rageur », fait un rappel à l’ordre sur les tenues « […] Je m’endormis
ce soir-là impatient du lendemain qui devait nécessairement être
pour moi une révélation, prêt à la lutte mais confiant dans l’avenir ».
Ma première leçon. Réveil au clairon à 6 heures, corvée de « jus »
et de nettoyage de la « carrée » ; « un nouveau coup de clairon
nous réunit en rangs dans la cour casques et lunettes sous le bras.
L’appel terminé, nous nous acheminâmes vers la piste. Mon cœur
battait à petits coups rapides. J’allais enfin prendre mon premier
contact avec le « zinc » ! L’angoisse que tout apprenti-pilote ressent à
ses débuts. On m’affecta à une équipe, à un moniteur. Les Caudron G.3
encastrés les uns dans les autres semblaient des oiseaux au repos. Un
à un nous les amenions sur la piste et bientôt ce fût le ronronnement
des moteurs au ralenti puis leur chanson joyeuse et trépidante alors
qu’ils tournent à plein gaz, les craquements de l’empennage des
avions prêts à bondir arrêtés dans l’élan par les cales, puis leurs
bonds légers alors que libérés ils prenaient enfin leur essor, avides
d’espace de lumière et d’infini ! Immobile, je contemplais sans me
lasser de ce superbe lâcher et me grisais lentement de cette odeur
d’huile et d’essence brûlée que depuis je n’ai jamais cessé de humer
avec délices sur tous les terrains d’aviation que j’ai hantés […] ».
(Petite trace de rouille sur le premier feuillet, légère fente margée
au dernier).
Rare manuscrit de Jean Mermoz.
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