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106

258.

George SAND

. L.A.S. « George », Nohant 25 janvier [1848], à Giuseppe

M

azzini

 ; 6 pages in-8 à son chiffre.

2 000/2 500

T

rès

belle

et

longue

lettre

à

son

ami

le

patriote

italien

.

Elle reçoit avec reconnaissance « cette chère bague dont je n’ai pas besoin pour penser à vous tous les jours de ma vie, mais qui

sera pour moi une relique sacrée dont mon fils héritera. Il en est digne, car il a la religion des souvenirs comme nous. En disant

que je pense à vous tous les jours de ma vie, je ne me sers pas d’une formule vaine. Je mentirais si je disais que je pense tous

les jours à

tous

mes amis. Mais, comme les chrétiens ont certains bienheureux de préférence auxquels ils s’adressent chaque soir

dans leurs prières, je puis dire que j’ai certaines affections sérieuses sur cette terre et ailleurs dont la commémoration se fait

naturellement dans mon âme chaque fois qu’elle s’élève vers Dieu, dans la douleur et dans la foi. Oui, je vois bien qu’il faut que

vous alliez en Italie tôt ou tard. Je sais bien que vous lui devez votre vie ou votre mort. C’est notre lot à tous de vivre ou de mourir

pour nos principes. Pour vous, l’éventualité est plus prochaine en apparence que pour nous. Ce n’est pas moi qui vous dirai de

craindre la souffrance, de reculer devant les périls, et d’éviter la mort. Je vous le dirais d’ailleurs, sans vous ébranler. La douleur

et l’effroi qui me serrent le cœur à cette idée, je ne dois même pas vous en parler ! Mais vous seriez mon propre fils que je ne

vous détournerais pas de votre devoir. Que nos amis soient parmi nous ou dans une meilleure vie, nous les sentons toujours en

nous et nous les aimons de même, nous nous sommes dit cela l’un à l’autre et nous le pensons bien profondément. Pourtant, cette

idée de séparation ici-bas répugne à la nature, et le cœur saigne malgré lui. Que Dieu nous donne la force de croire assez pour

que cette douleur ne soit pas le désespoir ! Mais enfin, fût-elle le désespoir, acceptons tout. L’âme a ses agonies et doit subir ses

tortures comme le corps ».

Elle a traduit la lettre au Pape de Mazzini, et l’a « accompagnée de réflexions que je ne crois ni violentes ni subversives, mais

chrétiennes et vraies ». Elle a tenté en vain de la faire publier dans un journal : « je tenais à ce que votre lettre eût un certain

retentissement en France, surtout dans un moment où notre Pairie vient de discuter si pauvrement la question italienne, et où

le jésuite

M

ontalembert

et autres cerveaux despotiques et étroits vous ont personnellement lancé leur anathème méprisable ».

Le Siècle

l’a refusée faute de place, « ce qui n’est qu’un prétexte pour éviter de se compromettre dans l’esprit des bourgeois

voltairiens ».

Le Constitutionnel

garde le silence. « J’ai écrit hier pour leur dire que s’ils étaient

effrayés

de mes idées, je les autorisais

à les supprimer entièrement, pourvu qu’ils publiassent ma traduction de votre lettre. […] je suis honteuse pour la presse française,

que non seulement vous n’y ayez pas un défenseur spontané, mais encore qu’on ait tant de peine à laisser entendre une voix qui

s’élève dans le désert pour dire que vous n’êtes ni un jacobin ni un impie ». Elle a remis le texte à Pierre

L

eroux

, « qui va s’en

occuper sérieusement dans la

Revue Sociale

. Il ne sera pas autant que moi de votre avis. Il rendra justice à la pureté et à l’élévation

de vos idées et de vos sentimens ; mais il est possédé aujourd’hui d’une

rage de pacification

, d’une horreur pour la guerre, qui va

jusqu’à l’excès et que je ne saurais partager. Blâmer la guerre dans la théorie de l’idéal c’est tout simple, mais il oublie que l’idéal

est une conquête, et qu’au point où en est l’humanité, toute conquête demande notre sang. […] Le voilà qui croit tenir la science

religieuse, politique et sociale, et qui s’annonce avec beaucoup d’audace comme possédant

un dogme

, une

organisation

, un principe

de

subsistance

. C’est beaucoup dire ! Cette admirable cervelle a touché, je le crains, la limite que l’humanité peut atteindre. Entre

le génie et l’aberration il n’y a souvent que l’épaisseur d’un cheveu. Pour moi, après un examen bien sérieux, bien consciencieux,

avec un grand respect, une grande admiration et une sympathie presque complète pour tous ses travaux, j’avoue que je suis forcée

de m’arrêter, et que je ne puis le suivre dans l’exposé de son système. Je ne crois pas, d’ailleurs, aux systèmes d’application

a priori

.

Il y faut le concours de l’humanité et l’inspiration de l’action générale. Enfin, lisez et dites-moi si j’ai tort et si vous le croyez dans

le vrai. Je tiens beaucoup à votre jugement. J’en ai même besoin pour sonder encore le mien propre »….

Correspondance

, VIII, 3806.

259.

George SAND

. L.A.S. « George », [Nohant] Lundi soir [31 décembre 1849], à son amie Rozanne

B

ourgoing

 ; 3 pages

in-8, enveloppe.

1 200/1 500

B

elle

lettre

sur

ses

tristesses

après

la

rupture

avec

C

hopin

et

la

brouille

avec

sa

fille

,

et

sur

son

tout

nouvel

amant

,

l

’A

llemand

H

ermann

M

üller

-S

trübing

.

Elle s’en veut d’avoir tardé à lui écrire. « Mais je voulais avoir à te dire quelque chose de moi, car ce n’est pas se parler que de se

cacher quelque chose. Je ne savais où j’en étais dans ces premiers jours. C’était un mélange d’espoir et de tristesse sombre. Non pas

que je n’eusse confiance pleine et entière dans ce bon Allemand [Hermann

M

üller

-S

trübing

]. Mais comment passer du désespoir

au bonheur sans un terrible effort ? Tu sais quel poids effroyable ces chagrins de famille ont mis sur ma poitrine. Je suis comme

quelqu’un qui voudrait bien, qui pourrait bien respirer, si on lui ôtait une grosse pierre qui l’écrase. Il faut être fort et persévérant

pour me délivrer d’un pareil fardeau et pour me rendre à la vie, moi qui étais aux trois quarts morte. C’est si profond, une douleur

qui ne veut pas se plaindre et qui se cache derrière des habitudes d’insouciance et de gaîté ! – Enfin je suis contente à présent et

j’espère qu’il y aura sinon guérison de ma vie, du moins équilibre en compensation. Il est bon, il est parfait à ce qu’il me semble.

Seulement j’ai perdu la possibilité de croire à la durée des choses. Je donnerais dix ans de ma vie à venir pour avoir derrière moi

les dix ans de certitude que tu peux compter. Je ne veux pas regarder en avant, je veux vivre au jour le jour ».

Rozanne a été bien « bonne et tendre » pour elle : « Tu es toujours ma fille Rozane, et il m’a semblé recommencer ma jeunesse

auprès de toi. […] Et ce bon Alexandre, je l’aime, et l’estime de tout mon cœur. Savoir aimer, c’est tout, c’est la vertu la plus rare,

la grandeur la plus vraie devant Dieu. Les hommes sont presque tous des imbéciles qui ne se doutent pas de son prix. Nous savons

bien, nous autres, que quand un homme nous donne le bonheur, c’est qu’il a une foule de qualités éminentes, inappréciables, que

nul ne comprend comme nous. Le monde n’entend rien à tout cela. Il n’y a que l’amour qui sache et puisse payer l’amour. Sois

donc heureuse, ma mignonne, cela me console presque de ne pas l’avoir été »…

Correspondance

, IX, 4387.