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Livres & Manuscrits
RTCURIAL
22 septembre 2020 14h30. Paris
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Livres & Manuscrits
RTCURIAL
22 septembre 2020 14h30. Paris
cherche. Puis je laisse tomber,
j’attaque une autre chanson. Et
puis, tout d’un coup, je disais
“Bon Dieu ! si tu pouvais faire
un alexandrin, là, au lieu d’un
octosyllabe, tu pourrais la finir
comme ça ta strophe.” Et du
coup, je fous mon poème en
l’air et je trouve quelque chose
d mieux que mes trois vers.
Et parfois mes trois vers dis-
paraissent complètement, et
parfois, l’idée même de ces trois
vers disparaît, au profit de ces
derniers vers. Alors je remonte
et je trouve autre chose de beau-
coup mieux » (entretien radio-
phonique).
À travers tout ce jeu autour des
mots, des idées, des images
et des sons, se perçoivent
les influences poétiques de
Brassens : François Villon,
Clément Marot, mais aussi
plus contemporaines comme
Paul Valéry, Paul Fort, Francis
Jammes… On y ressent aussi,
nettement, son attachement à
une liberté et d’esprit et de ton,
ainsi que son attachement aux
femmes.
Tous ces éléments, qui font Bras-
sens, sont là, dans ces manuscrits
à peine raturés. S’y côtoient des
listes de mots d’un même champ
lexical, des ébauches de rimes,
des vers à la tournure déjà fixée,
des tentatives de construction
de strophes et de chanson, et
des versions définitives aussi.
Non seulement on comprend,
mais on voit comment Brassens
mettait quatre ans à faire une
chanson qui le satisfasse.
De quoi se dire « je me suis fait
tout petit » devant Brassens.
L’ensemble de documents auto-
graphes de Brassens proposé
aujourd’hui impressionne à plus
d’un titre. D’abord, par son vo-
lume : c’est probablement la plus
grande quantité de manuscrits
de cet artiste proposée à la vente,
en une session. Ensuite, parce
que quand on a été bercé par ces
chansons, qu’on les a aimées et
fredonnées, on ne peut qu’être
curieux de voir comment elles
ont été conçues. Et enfin, com-
ment ne pas être impressionné
par le travail minutieux du poète
à polir ses vers pour obtenir la
chanson qui lui correspond et
qui plaît au public ?
« D’abord, chez moi, le mot a
une importance capitale. J’ai
appris des mots qui ont fini par
devenir des idées. Les mots
me plaisent par leur son, par ce
que tu appellerais “la musique
extérieure” » (Lettre à Toussenot,
8 juin 1850).
Ces documents offrent une
chance inouïe de voir les re-
cherches et les tâtonnements de
l’auteur. Comment parfois, d’une
idée un peu grossière, il arrive
à extraire un vers séduisant.
Comment à d’autres moments,
une idée, une tournure lui plaît,
mais ne collant pas à son propos
du moment, il la met en réserve
et la réutilisera pour une autre
chanson.
Brassens lui-même a très bien
décrit ce processus créatif :
« Par exemple, je trouve trois
vers qui me plaisent, il m’en faut
un quatrième, et je ne le trouve
pas. Ça me fait râler. Il me le
faut absolument. Alors, pendant
trois, quatre, cinq, six jours, j’y
réfléchis, je ne trouve rien. Et je
Le 22 septembre
Balzac emprunte dans
la Peau de
chagrin
une formule
de Cervantès : « le hasard est le
doigt de Dieu ».
Parmi les chansons de Brassens
de la collection Mella, il y a
celle de l’amoureux éconduit
qui se lamente se son infortune
mais qui, le jour anniversaire
de la rupture, termine chaque
couplet par : « le 22 septembre,
aujourd’hui, je m’en fous ».
Or, nous devons à un pur hasard
du calendrier de présenter le
texte manuscrit original un 22
septembre !
Provenance et bibliographie de tous les lots Brassens
C’est une de ces coincidences
inouïes que René Char qualifiait
de « doubles fleurs ».
Alors, le doigt de Dieu ? Le
poète en aurait ri, lequel n’était
point calotin, et encore moins
« sans le latin ».
Dans les années 1950-1960, la
jeunesse n’avait pas les facilités
d’aujourd’hui pour accéder à la
culture et à la réflexion, de sorte
que des troubadours comme
Brassens, Brel, Ferré, jouaient
un rôle de maître à penser,
marquant durablement plusieurs
générations.
Hervé Poulain
Passion Brassens. Le temps ne
fait rien à l’affaire.
Paris,
Textuel, 2001. Brassens.
Œuvres complètes.
Paris, Le
cherche midi, 2007 (édition
établie par Jean-Paul
Liégeois).
Entretiens radiophoniques
ou télévisés, conservés par
l’INA. Films documentaires
le Regard de Georges Brassens
de Sandrine Dumarais (2013)
et
Brassens par Brassens
de
Philippe Kohly (2019).
Les sites internet :
www.analysebrassens.com/ http://amandier25.com/Provenance :
Succession Fred Mella (1924-
2019). Chanteur français,
il a notamment fait carrière
au sein du groupe vocal
les
Compagnons de la chanson
,
dont il fut le dernier
membre vivant. Il était très
proche de Georges Brassens,
mais également de Charles
Aznavour et de tous les amis
évoqués dans le texte de son
fils, Michel Mella.
Bibliographie :
Brassens.
Lettres à
Toussenot. 1946-1950
.
Paris, textuel, 2001 (éd.
établie par Janine Marc-
Pezet). André Tillieu, Alain
Poulanges.
Les Manuscrits de
Brassens.
Paris, Textuel,
2001. Alain Poulanges.
Fernande » démarra, je n’en crus
pas mes oreilles et le public dut
être bien surpris d’entendre un
éclat de rire tonitruant provenant
du fond de la salle.
Mon père, photographe de grand
talent, virus qu’il a passé à ma
sœur et à mon fils, a couvert les
évènements privés, les passages
sur scène, les dîners de la bande
en long en large et en travers.
Le beau Georges, parce qu’il
était beau, le bougre, avec son
profil de dieu méditerranéen, y
apparaît, souriant, ou concentré,
riant, parlant ou écoutant, ou
penché sur un piano, puisqu’il
y composait ses chansons, ce
qui en explique la sophistication
harmonique, n’en déplaise à ceux
qui disent que c’est « ploum-
ploum ». Et cette photo farce,
en scaphandrier qui fumerait au
fond des flots… Il en est une qui
me réjouit personnellement, c’est
celle d’une « pasta », préparée
par Lino dans la cuisine de
Georges, quand Papa, mon
oncle René et Gaston des
Compagnons sont venus, rue
Santos-Dumont, créer un studio
insonorisé dans la petite annexe.
C’est latin, c’est marrant, et,
n’ayant plus ni Georges, ni Lino,
ni oncle ni père, les revoir ainsi
est une expérience douce-amère.
Il a fait partie de notre vie, il
continue de nous accompagner.
Sa mort nous a été annoncée
à ma mère et moi, par un
ami antiquaire, le soir, aux
Halles. Je lui ai proposé de la
raccompagner à la maison.
Bravement, elle a décliné, d’une
toute petite voix. J’ai ensuite pris
une des cuites de ma vie. Papa
en parlait constamment, le citait,
me montrait des photos, me
parlait des brouillons, dont je
n’ai vu à l’époque que celui du
. Eussè-je écrit la première
mouture de la première page,
que vous me verriez plastronner
dans les rues, une lyre à la main
et une couronne de laurier
crânement fichée sur l’occiput.
Mais le « Ah » calme les
échauffements.
Brassens, c’est bien le type qui a
écrit « Sans travail, un don n’est
rien qu’une sale manie » ?
Michel Mella
Georges Brassens, 1969
D.R.
Georges Brassens, en compagnie de Fred Mella à Crespières, 1969
D.R.




