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Damps 15 juin
1891
]
. « Je suis bien touché et bien fier, mon cher ami, que vous vouliez me dédier votre livre [
L’Exorcisée
]. Mon nom à
côté du vôtre, voilà qui va lui faire passer de belles heures »... – « La fin de votre roman est admirable ; le dernier feuilleton, tout à fait
auguste, dans son humanité mystérieuse. Et que de trouvailles dépensées, que de richesses dispersées, que de double-vues dans le cœur
de l’homme : ce décor de jardin, bref comme un rire, par quoi le livre se ferme, avec ce cygne dont le col est comme un point
d’interrogation, m’affole. Vous êtes, mon ami, un grand, très grand artiste, plus que cela, un grand humain, un grand intellectuel. Et
sous votre ironie si distinguée, si parfaite de tenue morale, sous votre
perversité
si mélancolique, vous êtes un grand bon. Car la pitié
qui plane à chaque page de votre œuvre est d’autant plus belle, qu’elle est consciente, et qu’elle n’ignore rien. Ah ! Hervieu, comme je
suis fier que vous m’ayez dédié ce livre, qui est un chef-d’œuvre. Et comme je l’aime de n’être pas “ce qu’il faut à
L’Écho de Paris
”.
Voyez-vous, il faut beaucoup haïr les impressions de
M
endès
. Ce sont des impressions de journaliste. Mendès en oublie le poète qu’il
a été jadis. Et puis je crois qu’il n’a jamais rien compris à l’intelligence »...
[Début août]
. Il a dû écrire un article nécrologique sur
l’anarchiste Jean
L
ombard
, les souffrances de sa femme Alice l’ont empêché de se mettre à une besogne sérieuse, et il a bâclé un article
sur
La Révolte
, mais il n’a « plus de liberté mentale »...
[Les Damps 11 janvier
1892
]
. « Je vous envoie une bonne tendresse [...] Je suis
hanté par des idées horribles, et je vis dans une tristesse noire »...
[Novembre]
, après la cabale et l’échec de la pièce d’Hervieu,
Les Paroles
restent
: « il faut s’incliner devant la Puissance du Mal. Je ne croyais pas à une telle domination de la Mauvaise foi et de l’Envie […]
Pourtant, votre lutte n’aura pas été inutile. On a été obligé de reconnaître votre grand talent, et votre nom y a gagné une notoriété encore
plus grande. Vous serez mieux armé contre la bande, la prochaine fois. C’est vraiment enrageant, tout de même, de penser que d’un
succès certain, éclatant, la Presse peut faire cela ! »...
[Décembre]
, éloge du roman d’Hervieu
Peints par eux-mêmes
: « Hervieu ! Hervieu !
Vous êtes effrayant. Il n’y a point de voiles pour vous, sur les âmes. Vous êtes l’Œdipe des mœurs de ce colossal rebus : la Vie »... Visite
à
L’Écho de Paris
, où il a reçu un triomphe (malgré ses articles du
Journal
sous le pseudonyme de Jean Maure), et où tous lui disaient
leur admiration ; pourtant « Schwob m’avait dit : “Ils savent que Jean Maure c’est vous. Ils vont vous en parler. Cela les inquiète
beaucoup.” Ils ne m’ont parlé de rien »…
[1894]
, demande de conseil pour la nouvelle édition de son volume chez Charpentier : « Il y a
des dédicaces qui m’ennuient dans les
Lettres de ma chaumière
. Puis-je rééditer les nouvelles anciennement dédicacées sans dédicaces ?
Ainsi, je voudrais biffer le nom de
Z
ola
de
La Mort du père Dugué
»...
[Février 1898]
, sur l’affaire
D
reyfus
et le procès
Z
ola
: depuis
« cette affaire », Mirbeau ne peut écrire que là-dessus. « Aujourd’hui, à la sortie, nous avons été fortement hués et poursuivis. C’était
admirable ! Mercredi je serai encore au procès. Pour le dernier jour, je ne puis abandonner cet admirable Zola ». Le crime de Boisdeffre
était évident. « Ce sont de bien grands bandits. Et cet
E
sterhazy
!.. Ah lui du moins, c’est un gredin magnifique ! »...
Clos Saint-Blaise
mardi [14 juin]
: « Voulez-vous venir déjeuner ici, le lundi 20 avec Picquart, Zola, Clemenceau, Huret, et quelques amis des deux sexes ?
Vous me feriez un grand plaisir, et Zola serait content de vous voir »...
Lundi [21 octobre 1901]
, au sujet de sa pièce
Les Affaires sont les
affaires
à la Comédie-Française : « Je crains bien n’arriver à rien avec
C
laretie
, qui se contentera, comme acte de courage, d’annoncer
qu’il a reçu ma pièce, et qui ne la jouera que dans deux ans... Dans deux ans ! Je vais lui mettre
S
ilvain
aux trousses. Silvain a hâte de
créer le rôle et il trouvera peut-être le moyen d’actionner un peu les hésitations de Claretie »…
[Décembre 1902]
. Il lui prédit que sa pièce
[
Théroigne de Méricourt
] sera un triomphe : « Vous allez avoir un colossal succès, et mon cœur, d’accord avec mon esprit, s’en réjouit,
de toutes ses forces »... Etc.
Ailleurs, il est question d’une séance de corrections avec
B
runetière
. Mirbeau parle souvent de la santé délicate de sa femme. – Il
recommande à Hervieu d’envoyer son livre à Remy de
G
ourmont
: « Ce vieux Remy m’a parlé de vous en termes très nobles. Et
R
odin
qui vous admire ».... On rencontre aussi au fil des lettres les noms de Henry Baüer, Boisgobey, Marthe Brandès, Lucien Descaves, Loïe
Fuller, Étienne Grosclaude, Charles Le Bargy, Francis Magnard, Catulle Mendès, Fernand Vandérem, etc. Citons enfin cette lettre
[9
avril 1897]
, alors que Mirbeau relit les lettres d’Hervieu, avant de les faire relier : « si riche que soit le vêtement que je leur donnerai, il
sera bien pauvre, à côté de cette richesse de l’esprit, du cœur, de l’incomparable intelligence dont ces lettres étincellent. En les relisant,
mon bien cher Hervieu, j’ai revécu tout un passé, toute une vie, et j’ai pleuré bien des fois. Et je me suis reproché, avec amertume, de
ne vous avoir pas assez aimé, peut-être, comme il eut fallu vous aimer. Et pourtant, aujourd’hui, me remonte au cœur, à grands élans
de tendresse et d’admiration »...
244.
Octave MIRBEAU
. 3 L.A.S., 1900-1901 et s.d., à Ernest
V
aughan
, directeur de
L’Aurore
; sur 3 in-8 ou in-12,
2 enveloppes.
150/200
Honfleur [25 juillet 1900]
. « Voulez-vous me dire à qui je dois le superbe article de
L’Aurore
? Est-ce ce Berthier ? Je voudrais bien le
revoir [...]. Vous n’imaginez pas combien cet article m’a fait plaisir, et combien je l’ai savouré »...
[Nice 13 avril 1901]
. Il va rentrer à
Paris « après quelques jours de repos en Italie. Êtes-vous content de votre combinaison ? Je le voudrais »...
Clos Saint-Blaise par Poissy
:
« Tous mes compliments pour votre campagne contre
R
ochefort
. J’ai rarement vu quelqu’un manger le foie d’un homme avec une bonne
humeur, aussi inaltérable ! »...
245.
Octave MIRBEAU
. L.A.S., Veneux-Nadon par Moret [21 septembre 1901], à Laurent
T
ailhade
à Montfort l’Amaury ;
1 page in-8, enveloppe (petit deuil).
120/150
« Je comprends tout ce que votre situation a d’épouvantable, et je vous plains de tout mon cœur. J’ai écrit, à la première heure, à
F
asquelle
. Mais c’est un si drôle de bonhomme, qu’on ne sait pas si l’on peut compter sur lui. Je lui ai dit ce qu’il fallait dire. En tout
cas, pour obvier à un refus de Fasquelle, j’ai pris d’autre part mes précautions. J’ai écrit à une autre personne, dont j’espère davantage.
Tout de suite, la réponse reçue je vous télégraphie. Ah ! la muflerie humaine, je la connais ! Et rien ne m’étonne d’une crapule comme
le
P
oidatz
[directeur du
Matin
] »... Il a « le cœur bien gros », car il vient de passer par de cruels moments, après un accident de voiture
de sa femme qui l’a mise en danger de mort ; mais il peut à nouveau respirer... « Comptez sur moi, mon cher ami. Je ferai le possible,
je ferai l’impossible »...




