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Au reste, avouerai-je que je déteste les époques d’épanouissement,
les époques faciles où des vedettes nonchalantes
profitent du travail d’alchimiste de celles qui les devancent. J’aime ces époques rudes et vagues où l’artiste dérouté
cherche, coûte que coûte, un moyen de changer les règles du jeu en face d’une foule que rien n’étonne, que rien ne
scandalise.
Je regrette nos salles méchantes et nos sifflets et nos batailles. Baudelaire avait, lorsqu’il se rendit en
Belgique, une vingtaine d’auditeurs...
»
Texte paru dans le quotidien communiste
Ce Soir
en décembre
1937
, puis intégré en
1947
par Cocteau, avec nombreuses
variantes, dans son recueil
Le Foyer des artistes.
Joint,
une dactylographie postérieure du texte tel qu’il parut dans
Le Foyer des artistes.
Les années folles de Cocteau
au prisme de ses querelles avec les dadaïstes
211. COCTEAU
(Jean). Manuscrit autographe. 6 pp. in-folio d’une fine écriture.
1 000 / 1 500
Longs souvenirs évoquant les années 1918-1920,
la publication de ses ouvrages
Le Cap de Bonne-Espérance
et
Le Coq et l’arlequin
,
ses relations houleuses avec Gide («
Pour me déboulonner, le petit tourne-vices de Gide ne
suffisait pas
»), Breton, Aragon, Soupault, Picabia, le mouvement Dada, Cendrars, Jacob, Adrienne Monnier, Radiguet,
Reverdy, Salmon, Satie, Valéry, les revues
Littérature
,
Nrf
,
Les Écrits nouveaux...
«
... Le lendemain, je reçus de Breton une lettre. Il demandait à réentendre
Le Cap.
“Rendez-moi votre amitié”,
finissait-il, “je saurai m’en montrer digne”. Je me laissai prendre. Je rendis l’amitié. Je ne refusai pas de voir mon nom
au sommaire. Je leur donnai une étude sur le
Socrate
de Satie.
Comme récompense, ils me fâchèrent avec Satie
qui
fréquentait alors chez Monnier, ou du moins envenimèrent une de ces querelles fréquentes entre Satie et moi. De ce
jour, ils cherchent par tous les moyens à me nuire. Un article de moi ayant paru où j’annonçais
Littérature
et parlais
de leur don, le mot don exaspéra le jeune Aragon qui m’écrivit une lettre d’insultes. Ils firent de moi une espèce de
machine infernale à brouiller le monde.
Vint le dadaïsme. Habiles à sauter en croupe de ce qu’ils imaginent aller le plus vite, faire parvenir le plus vite, ils
sautent en croupe de ce Dada.
Les mystifications de Jarry se transposent. Ils écrivent des lettres anonymes. Accusent
ceux qui les reçoivent de les avoir écrites. Inventent toute une trame ignoble qu’ils cachent sous des airs dignes et des
fausses accusations.
Sur une grande échelle ce serait le régime de la Terreur.
Sur cette échelle, c’est le régime de la
pitié, du collège, de l’Oscar Wildisme moderne. Souvent Breton a feint de se réveiller, de me tendre la main. Je le
croyais. C’était simplement le préparatif d’une nouvelle farce.
Sitôt en croupe de Dada, ils prétendent que leur culte
de Gide n’était qu’une manière de le bafouer. Ils le disent à Picabia qui me le répète, mais ils continuent les caresses
à Gide
et s’introduisent à la Nouvelle revue Française où ils amènent un désordre sans fraîcheur.
Mais pourquoi m’étendre. Je ne connais pas de spectacle plus triste que celui de la jeunesse sans amour et sans
clairvoyance.
Tous ces groupes se réunissaient pour reconnaître en Raymond Radiguet une jeune prodige. On lui enseignait à me
mépriser. Il me connut, m’aima, méprisa les autres. C’est ma revanche. Elle me suffit...
»
Orphée
et la chapelle Saint-Pierre
212. COCTEAU
(Jean). Lettre autographe signée,
illustrée d’un dessin original signé
à pleine page, adressée à
Maurice Delamain. S.l., 11 décembre 1956. 3 pp. in-8.
500 / 600
«
Ces quatre lignes pour vous dire que seule cette époque confuse est coupable lorsque je ne vois pas ceux que
j’aimerais voir.
Ou bien je me trouve sur le côté ou bien sous la voûte de ma chapelle
[la chapelle Saint-Pierre à Villefranche-sur-Mer,
dont il réalisa ma décoration]
, ou bien dans ce Paris noyé de bronchite et de difficultés avec les véhicules.
Tant de personnes m’ont réclamé cet
Orphée
que je suis heureux de votre réédition et que le dessin vous plaise. Ne
pourrait-on imaginer une bande qui signalerait la chose, puisque les libraires s’acharnent à ne pas vendre et à cacher
les livres...
» Créée en
1926
, la tragédie
Orphée
de Cocteau avait originellement paru chez Stock, Delamain et
Boutelleau en
1956
, et allait être rééditée en
1957
.
Le dessin est légendé «
Orphée
»
(pierre noire,
21
x
13
cm).
Reproduction page 51




