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d’inutilité ! L’âge, la distance, les obstacles n’avaient rien amoindri des sentimens
réciproques, ardents et dévoués de deux cœurs faits pour s’aimer, deux esprits
pour se comprendre, deux visages pour se plaire. Si des circonstances
infranchissables et odieuses n’avaient séparé ce qui était pour ne jamais se quitter,
Montgivray ne m’aurait jamais vue ni Paris jamais possédée. Romanesque et cruel
roman de la vie réelle »...
21 août
1898
: « être revenue après 22 ans d’absence
[...] pour chercher la trace des pas de Valentine et de Bénédict, celle des sabots du
cheval d’Edmée de Mauprat... Avoir cru pouvoir gagner la chose difficile et
revêche qu’on appelle vieillesse [...] pour régler encore à 70 ans, des comptes de
pirates ardoisiers ou de maçons dignes du bagne, c’est un joli comble ! »... La
justice « fait deux coupables au lieu d’un. M. d
reyfus
– et un Esterhazy, un
Picquart et unMercier, une justice qui répond : Peut-être ! »...
24 août
, exaspération
contre les artisans du Berry, mêlée de considérations sur Virgile et Chénier
(« enthousiasme et délices » de la relecture)...
9 décembre
. Elle réclame des
experts : « La bonne affaire de la route est tellement atténuée par les pilleries
insensées des derniers détails avec mes coreligionnaires, qu’ils se trouvent, que
les juifs sont délicats, généreux et larges, tandis que les chrétiens se montrent
rapaces et corsaires »...
Montgivray jeudi 15 [décembre]
. Elle précipite son voyage
à Paris pour affaires : « le logis de Paris est tout imprégné, embaumé de la présence
chère qui ne se reproduira plus. Cette peine d’ailleurs est comme une brûlure
incurable. Elle creuse et gagne chaque jour [...]. Je n’ai jamais su aimer ou
mépriser à moitié. Là j’aimais tant, j’étais tellement adorée que je me sentais
rehausser et grandir par une telle tendresse. L’amitié a ses ardeurs aussi, ses
exigences, sa déraison, peut-être ; en tout cas ses enthousiasmes et ses
emportemens – autant que ses désespoirs et ses rages. Tel est mon cas. J’ai trouvé
là depuis 40 ans un cœur incomparable dont le mien s’est épris avec passion. Un
amant, ça se remplace, mon cher. Mais un tel ami se regrette, se pleure, ne
s’oublie jamais »...
Pau 5 janvier
. Récit animé de quelques jours passés avec une
vieille amie à visiter Bayonne et Biarritz. Depuis le départ de Mme Clairin, elle
cherche à combler le vide avec l’étude de
La duchesse de Longueville
de V.
Cousin, dont elle loue le style et l’érudition : « cela est préférable à la littérature
coïtante et aux romans au sperme de M
r
z
ola
et autres saligots. Pardon ! Voyez le
mauvais exemple rien qu’à songer à ces ordures, des mots infâmes sont éjaculés
par la plume la plus propre. Signe irrécusable de décadence, mon bon ! Lorsque
les arts se souillent, lorsque les Lettres tombent dans la fange – il n’y a plus rien à
attendre d’une nation. [...] Donc à bas la république ! »...
Montgivray 23 août.
Elle
a classé cette nuit la correspondance de son frère : « Le caractère de l’ensemble
est la droiture, la simplicité dans la forme gaie, vive, particulière à lui ; la bonté,
le
désintéressement
, la loyauté, la dignité tranquille. Il avait certes de ces qualités
– mais pas toutes. Rien n’est plus inexact qu’une correspondance pour donner
l’idée de la réelle nature d’un être. Rien n’est plus faux : car les uns s’étudient, se
mesurent, se dissimulent, se parent et s’embellissent. D’autres s’abandonnent, se
lâchent, s’oublient, s’exagèrent ; s’enfièvrent et s’ennevrosent en écrivant »... Etc.
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