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Solange CLÉSINGER, née DUDEVANT
(1828-1899) fille de George Sand, épouse du sculpteur Auguste Clésinger, dont elle se sépara.
43 L.A.S. (4 non signées dont une incomplète), Paris, Cannes, Pau, Montgivray vers 1877-1898 et s.d., à Georges l
outil
; 117 pages formats divers, une
adresse et une enveloppe.
t
rès
intéressante
correspondance
aMicale
,
souVent
intiMe
, avec ce juge de paix de La Châtre, d’environ 30 ans son cadet, vieux garçon et « jeune camarade ».
Elle comporte de nombreuses commissions relatives à ses biens dans le Berry, des demandes de conseils pour ses finances, des invitations à dîner ou à voir
le buste de sa mère par c
lésinger
, des jugements littéraires et politiques parfois dans un langage assez cru. Elle exprime souvent un vif intérêt pour l’avenir
de Loutil –mariage, postes à Alexandrie et Paris, héritage à préserver –, et parle aussi, avec une grande franchise, de son propre caractère passionné, de ses
regrets tardifs et solitaires, de son dégoût de la vie. Nous ne pouvons en donner ici qu’un rapide aperçu.
Paris
[1876 ?]
(deuil), après la mort de sa mère : « Que de fois on pense en soupirant : “Si elle était encore ici, je lui dirais ceci. J’irais la consulter, lui porter
telle fleur, telle objet qu’elle aimait. Et comme telle autre chose lui eût fait plaisir !” – Combien de fois en voyant quelque chose de nouveau ou de beau je
me suis dit, “Qu’en aurait pensé ma mère !” – Cependant je vivais, hélas ! hors d’elle, à part de sa vie quotidienne. Mais je lui écrivais, je lui soumettais
mes idées, mes jugements – et elle me répondait »...
14 décembre [1877 ?]
. « Je viens d’engloutir
La Tentation de S
t
Antoine
de f
lauBert
. Œuvre maladive,
tourmentée, pénible, surchargée de travail – piochée à la fureur, insensée, malsaine, fatigant le lecteur autant qu’elle a éreinté l’auteur. J’en suis sortie brisée,
à moitié folle, la tête rompue, le corps moulu – malade au moral et au physique ; comme au sortir d’un cauchemar atroce, d’une nuit de délire, d’une fièvre
cérébrale »... D’autres appréciations de la
Vie
de V. a
lfieri
,
Samuel Brohl
de c
HerBuliez
,
Jacqueline Pascal
de Victor c
ousin
...
Cannes 6 février [1879]
,
explications sur son choix de se « ruiner »... Dégoût pour la politique bête et sans gêne « de cette grande p... qu’on appelle la république. Pour moi –
MacMahon – ou Grévy : Pierre ou Jules – c’est peu intéressant. Ejusdem farinæ. Des gens qui veulent des places, pour empocher de l’argent. Rien de
plus »...
11 juin 1881
, sur son affection pour l’ami mélancolique : « De la raclure de pomme de terre crue sur la brûlure – telle est l’amitié, son secours et
son effet »...
9 juin 1882
. Comme Robert le Diable, elle se trouve entre un bon ange et un mauvais démon. « Ce démon est terrible, c’est celui du passé, la
lueur finale d’un rayon perdu, la dernière étincelle de vie. Après ça, les ténèbres, la morne vieillesse et les lentes approches de la fin. Cela vous explique
pourquoi je me cramponne à l’absurdité d’une si décevante affection. Là est le secret, allez ! L’aspect et la
contagion
d’une autre vieillesse, plus vieille
encore que la mienne, m’épouvantent [...] sans compter qu’il est pénible, douloureux même pour une personne qui a la déplorable infirmité de ressentir
profondément, de rompre avec une amitié de neuf ans »...
8 juin 1884
. « Maison en détresse ! Plus de santé, plus d’argent »... Elle demande le compte et
l’éventuel solde des intérêts p
érigois
, pour « ce qui ne concerne pas la maison et son acte »...
18 décembre 1890
, satisfaction du dénouement du procès
p
atureau
; de chagrins : morts de MM. de l
afayette
et Charles p
oncy
, maladie grave de sa nièce Gabrielle à Rome, et le marquis d’a
lfieri
« incapable de
m’écrire »...
15 janvier 1892
. Loutil se retrouve solitaire à remâcher les souvenirs : « comme moi cette nuit, on fouille dans les correspondances lointaines
du printems de sa vie, – et l’on se mord les points d’avoir méprisé l’amour adorable de celui-ci, l’amitié grondeuse mais dévouée de celui-là – la sympathie
grande qui s’élevait autour d’une jeunesse en fleur – et dont rien dans l’âge avancé ne peut détruire l’enchanteresse et poignante remémorance, non plus
que compenser l’irréparable perte. Le prince r
adziWill
! Il m’est apparu cette nuit grandi de cent coudées – dans sa correspondance de 1858 – à 1862. Quel
style aristocratique, quelle suavité de sentimens – quelle adoration respectueuse et vibrante cependant ! [...] je l’ai laissé
à côté
– comme une sotte gorgée
de succès – comme une imbécille étourdie que j’étais »...
20 janvier
1893
, hiver sibérien : « Je lis des ballades glacées de Walter Scott, de ses admirables
descriptions du paysage écossais et puis j’attends patiemment que mes jeunes voisins aient fini leurs partages – afin de savoir si j’aurai la maison »...
16
septembre
. Réflexions sur l’insipidité et l’ennui de la vieillesse, alors que le « désir de plaire, c’est la coquetterie du cœur ; c’est une insinuante et gracieuse
flatterie » possible à tout âge, comme le prouvent les Dutheil. « Ne plus s’inquiéter d’être agréable, c’est tomber à l’état de bœuf inerte de nos étables »...
3 janvier 1895
. Elle l’avertit que quelqu’un, en poste à Lignières, convoite la place de Loutil à La Châtre : « il conteste un point de droit, il ergote sur sa
compétence, il admire George Sand, Clésinger, la grâce épistolaire de sa veuve ; car il n’a pas fait
qu’un peu
de statuaire »...
30 décembre 1897
. Elle a
perdu son « ami exquis, incomparable », de 40 ans, « le marquis Alf. [Carlo d’a
lfieri
] – Mes derniers jours sont désemparés, pleins d’effroi, de désolation,
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