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« Mon ambition serait que, sortant de cette pièce,
les spectateurs ne trouvent plus le monde à leur dimension... »
10. BLOCH
(Jean-Richard). 6 missives autographes signées, soit 5 lettres et une carte, adressées à Élie Faure. 1922-
1937.
150 / 200
Belle correspondance littéraire
de cet écrivain socialiste qui prônait un « art révolutionnaire », engagé. Il fut un des
fondateurs, avec son frère Pierre Abraham, de la revue
Europe
, et dirigea avec Louis Aragon le quotidien
Ce Soir.
Abbaye de Varennes,
20
novembre
1927
. «
...
Georges Canguilhem. Retenez ce nom. Il marquera. Il a déjà marqué.
Âme brûlante, esprit singulier,
nature haute, conscience exigeante et non conformiste, intelligence aiguë, narquoise,
à qui on ne la fait pas, mais à qui on ne la fait pas non plus dans le sens des refus d’enthousiasme...
Je suis anxieux
de ce que vous penserez de mon travail actuel : un coup à se casser le cou. Faire vivre, au théâtre, pendant quatre
actes, dans une action réelle, rapide, dramatique, un monde de demi-dieux humains, tels que Michel-Ange en a
placé, pour sa joie... au fond de la Sainte Famille des Offices, et tels qu’il en a couvert le plafond de la Sixtine.
Je
n’évoque M.-Ange que pour me faire comprendre. Le point de départ n’a pas été là. Le rapprochement n’a été fait
qu’aujourd’hui, par quelqu’un qui a traversé ma solitude et à qui je lisais les pages écrites. Ce rappel m’a frappé.
C’était bien cela que mon inconscient recherchait. Concevez cela : sortir, s’évader des salles à manger du théâtre
naturaliste... faire éclater ce cadre étouffant, et, sans verser dans le faux héroïsme ni le faux grand, rejoindre l’humain,
le véritable humain dans une surhumanité plastique de géants enchaînés, de héros douloureux, de captifs aussi beaux
que ceux du Louvre.
Mon ambition serait que, sortant de cette pièce, les spectateurs ne trouvent plus le monde à leur
dimension,
et que cette vision d’une soirée, agissant sur eux, pendant de longs jours, les tienne, pendant tout ce temps-
là, suspendus au-dessus d’eux-mêmes. Pendant que j’écris, une mouche prise dans une toile d’araignée fait entendre
son bruit de mort, et l’horrible et magnifique bête vient la toucher précautionneusement du bout de ses antennes. Une
énorme souche d’ormeau crache en brûlant dans le feu. Le vent d’Est, appelé par la chute verticale du baromètre,
s’engouffre dans la vallée, avec un grondement mythologique. Je suis seul, avec une vieille femme, dans une maison
où la mort m’a pris ma plus grande affection terrestre. Tout lutte, combat, incitation à une vie plus puissante, à un
sursaut de l’âme. Vous êtes des vivants qui entendez ces voix...
»
Joint
, le brouillon autographe signé d’une lettre d’Élie Faure à Jean-Richard Bloch (Paris,
24
mai
1935
), concernant les
rapports entre culture et révolution : Élie Faure y critique le choix de l’A.E.A.R. (Association des écrivains et artistes
révolutionnaires, à laquelle Bloch avait adhéré) de restreindre son action aux écrivains et aux artistes, c’est-à-dire
d’exclure les autres catégories d’intellectuels, notamment scientifiques. Il propose de «
participer à créer une culture
nouvelle
» et de ne concevoir toute entreprise révolutionnaire qu’avec le concours des masses.
« Toute la guerre a été caricature. Au sens le moins honorable du mot.
On sera toujours au-dessus de la vérité... »
11. BOFA
(Gustave Blanchot, dit Gus). 7 lettres autographes signées à Élie Faure. 1926-1929 et s.d.
600 / 800
Sur son illustration pour
Don Quichotte
de Cervantès (1926), et sur un projet d’édition illustrée pour Élie
Faure.
– Paris, «
jeudi soir
», [
7
octobre
1926
] :
«
La Société des “Amis de
Don Quichotte
” n’existe pas en fait, mais elle
existe moralement et je vous ferai très volontiers le petit dessin que vous me demandez
au nom de cette compaternité.
Je suis très heureux que le bouquin vous ait plu et vous remercie d’avoir pris la peine de me le dire...
» — Paris,
«
mercredi
», [
24
novembre
1926
] :
«
Vous êtes très aimable d’avoir pensé à traduire en “plaisirs de gueule”
le
Don Quichotte
que j’avais dessiné, si volontiers, pour le plaisir simplement, à votre intention
...
»
– Paris, «
lundi soir
», [
1929
]. «
Toute la guerre a été caricature. Au sens le moins honorable du mot. On sera toujours
au-dessus de la vérité.
La difficulté n’est pas là, pour le moment, mais dans le temps à trouver pour faire les
illustrations. Je suis prisonnier de 4 bouquins qui représentent une quantité de gravures. C’est un petit problème qu’il
faudra essayer de résoudre lorsque nous nous verrons. Pour aujourd’hui je veux seulement vous dire
a priori
que
j’aurai grand plaisir à le résoudre...
» — [Paris], «
dimanche
», [
1929
] : «
J’ai donc vu Crès cette semaine
[Georges Crès,
éditeur habituel d’Élie Faure]
. Nous n’avons pu nous mettre d’accord que sur un point : que nous n’entendions pas du
tout l’édition de luxe de la même manière. Je crois que la sienne n’est pas la bonne, mais là n’est point la question. Je
vous écris ce mot pour vous dire que je regrette de ne pas illustrer, finalement, votre beau livre que j’ai relu en partie
et lu, sans arrêt, et que je trouve excellent parce qu’il est exactement marqué de sa date, qui lui donne son véritable
sens...
» — [Paris], «
mercredi soir
», [
1929
] : «
... Pour le reste, que voulez-vous qu’on ajoute à votre texte ? Et pour
le public auquel il doit s’adresser, à entendre Crès !
On peut toujours
dessiner
un livre nouveau en marge d’un livre
écrit
. Mais lorsque le livre écrit est complet et dit ce qu’il veut dire, est-ce utile d’y ajouter quoi que ce soit d’autre
qu’un décor, à l’usage des lecteurs pauvres d’imagination
...
» Il lui recommande alors entre autres l’illustrateur
Alexandre
Alexeïeff
: «
Il fait des bois et des lithos d’une abstraction un peu naïve, faussement naïve et faussement
insensée
».




