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Eugène CARRIÈRE
Le peintre Eugène Carrière fut l’artiste dont Élie Faure put se dire le plus proche,
de 1902 à 1906. Entrés
en contact à la suite de critiques d’art élogieuses parues dans
L’Aurore
, ils se lièrent étroitement, dans une amitié
renforcée par un même goût pour les spéculations philosophiques sur l’art et sur l’Homme. Ils furent cofondateurs
en 1903 de l’Université populaire « La Fraternelle », dans laquelle Élie Faure dispensa les cours qui formèrent la
base de sa célèbre
Histoire de l’art
. Ils se rendirent en outre des services mutuels : d’un côté, Eugène Carrière fit
rencontrer Rodin et Bourdelle à Élie Faure, et, de l’autre, c’est grâce à Élie Faure si Eugène Carrière put être sauvé
une première fois d’un cancer. Médecin attentif, Élie Faure lui prodigua continuellement des soins, demanda un
diagnostic à Ilya Metchnikov, futur prix Nobel de médecine, alors employé à l’Institut Pasteur, et fit opérer le
peintre par son frère le chirurgien Jean-Louis Faure.
Eugène Carrière peignit des portraits des trois enfants d’Élie Faure.
« Ne devoir rien qu’à ses seuls efforts et... être d’accord avec sa véritable nature... »
17. CARRIÈRE
(Eugène). Lettre autographe signée à Élie Faure. [Paris], 27 avril 1902. 4 pp. in-12, enveloppe.
400 / 500
«
Je vous prie de me croire très touché de la sympathie d’art que vous avez exprimée dans
L’Aurore [où Élie Faure
tenait la critique d’art, et où il avait consacré à Eugène Carrière des passages de deux comptes rendus du Salon des
Beaux-Arts, les
21
et
27
avril
1902
]
. La qualité de votre esprit critique me rend votre approbation précieuse et je vous
en remercie de tout cœur. Dans un esprit que nous estimons, tout nous est sensible.
Vous ne serez pas étonné si je réponds à ce que vous dites de l’influence de Armand Berton sur ma vie d’artiste
[en
commentant les envois de Berton au Salon, Élie Faure avait évoqué une probable « décisive influence » de celui-ci sur
Carrière]...
Je n’ai fait la connaissance de Berton qu’en 1886.
Je le connaissait très vaguement avant. Par la rue.
J’avais exposé depuis 1876. Mes envois furent remarqués en 1880, en 1884, 1885 et en 1886 où je devins le voisin de
Berton qui exposait la même année une Vénus dans le goût de Raphaël Collin dont il était l’ami. J’avais exposé en 85
l’
Enfant malade
et 1886
Le premier voile.
Je recueillis les sympathies et les anthipaties nécessaires.
C’est à ce moment que Berton se laissa entraîner dans ma voie.
Je l’y aidais d’ailleurs affectueusement et je pense
que déjà il a dû protester près de vous d’une affirmation qui a dû faire souffrir son amitié d’une gratitude qui m’a
toujours touché.
Je ne sais ce qui adviendra de mon travail lent et persévérant vers une compréhension plus complète
: je n’en suis
pas juge.
Mais j’ai des enfants qui me voient vivre,
auxquels je veux laisser la confiance dans leurs espoirs. La foi en une justice
réelle. Quoique je la sais relative et imparfaite, mais il faut de la foi pour vivre et je tiens à ce qu’ils l’aient.
Il faut
donc qu’ils aient conservé de l’exemple que je sais leur avoir donné de ne devoir rien qu’à ses seuls efforts et d’être
d’accord avec sa véritable nature.
J’ai fait mon possible pour répondre à cette pensée. C’est la seule récompense à
laquelle je tiens, la seule que réellement je réclame...
»
« Se rapprocher, ... s’unir aux forces évidentes qui nous traversent... »
18. CARRIÈRE
(Eugène). Lettre autographe signée à Élie Faure. [Paris], 2 juillet 1902. 2 pp. in-12, enveloppe.
200 / 300
«
J’aurais dû déjà vous écrire, vous dire l’émotion que j’éprouve devant une âme jeune et forte comme la vôtre... J’ai
eu
L’Aurore
de ce matin et j’y retrouve la nouvelle preuve de votre sympathie si généreuse. Je voudrais mériter ce que
vous dites. Je sais que vous indiquez le sujet de mes aspirations, et cela me réjouit. Comme aussi je m’intéresse à
l’esprit fécond de votre pensée sur les artistes.
Répandre les quelques vérités essentielles, montrer à l’homme quel
doit être son point de départ véritable et son véritable effort, de se rapprocher, de s’unir aux forces évidentes qui
nous traversent, c’est là tout un enseignement. Il justifie ceux qui en ont le sens, éveille chez les êtres de bonne
volonté le désir de la vraie vie.
On serait presque heureux si par l’accord avec les lois de la nature on découvrait
l’accord avec soi-même. Nous causerons de tout cela, cher ami – laissez-moi vous appeler de ce titre qui indique si bien
les êtres qui sont notre repos et notre désir d’action...
»
Eugène Carrière entretient également Élie Faure de sa santé,
en évoquant l’aide que lui a apportée le médecin et biologiste Ilya Metchnikov.




