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« La reine de France, le modèle des reines et des femmes n’est plus...

Ce crime... fait frémir la nature et l’humanitée,

et mon cœur est cruellement déchiré... »

277. [MARIE-ANTOINETTE]. – FERSEN

(Axel von). Lettre autographe à Elizabeth Foster. Bruxelles, 22 octobre

1793. vestige de cachet armorié de cire noire.

10 000 / 12 000

La mort de Marie-Antoinette annoncée par son chevalier servant.

«

Je ne croyois pas, aimable Milady, en recevant la vôtre du 10 de ce mois, que ma réponse auroit à vous annoncer une

nouvelle aussi affligeante pour mon cœur.

Vous savés sans doute déjà que la reine de France, le modèle des reines et des femmes n’est plus. C’est le 16 à

11 h. 1/2 du matin que ce crime a été consommé, il fait frémir la nature et l’humanitée, et mon cœur est cruellement

déchiré.

Le vôtre est trop sensible pour ne pas partager ma douleur. Elle n’est allégée que par

l’idée que du moins cette

princesse infortunée est délivrée des maux et des chagrins affreux qu’elle éprouvoit depuis quatre ans et auquels

son courage seul pouvoit résister.

M

[m]

e

 de Fitzjames est extrêmement affligée, nous pleurons ensemble notre perte commune, je tâche de la consoler

mais hélas j’ai trop besoin moi-même de consolation pour pouvoir lui en donner. Je n’ai pas la force de vous donner

aucun détail sur ce triste événement, d’ailleurs ceux que nous avons sont peu exacts.

Adieu, ma chère amie, plaignés-moi, donnés-moi de vos nouvelles, et croyés à la tendre amitié que je vous ai vouée...

»

« Je vous aime à la folie » (Marie-Antoinette au comte de Fersen).

Le succès du déchiffrage récent par imagerie

électronique des passages caviardés dans la correspondance de Marie-Antoinette à Axel von Fersen ne laisse plus aucun

doute sur les sentiments que la reine nourrissait à l’égard du jeune et beau Suédois : dans un billet chiffré du

29

juin

1791

, connu depuis longtemps, elle l’appelait « le plus aimé et le plus aimant des hommes », mais dans un passage enfin

révélé du billet du

4

janvier

1792

, elle lui déclarait : « Je vous aime à la folie et [...] jamais je ne peux être un moment

sans vous adorer ». Les sentiments d’Axel von Fersen pouvent se deviner par son action chevaleresque durant la

Révolution, et par quelques documents, comme une lettre de l’ambassadeur de Suède qui, dans les années

1780

, avait

tout deviné mais louait la délicatesse et la discrétion de Fersen, ou par les lettres de Fersen lui-même à son père et à sa

sœur, à laquelle il écrivait en

1783

qu’il ne se marierait jamais : « Je ne puis être à la seule personne à qui je voudrais

être ».

Il est connu cependant que Fersen entretint de

1789

à

1799

une liaison avec une Italienne haute en couleurs, la belle

Eleonora Franchi, qui avait été la maîtresse du duc de Wurtemberg, puis de l’empereur d’Autriche Joseph II, d’un riche

Irlandais, Mr Sullivan (dont elle garda le nom), et enfin de l’écrivain Quintin Craufurd, qui tint salon à Paris avant et

après la Révolution. Eleonora et Craufurd furent de ceux qui participèrent à l’organisation de la fuite à Varennes,

notamment financièrement, et accueillirent Fersen à Paris pour sa dernière tentative de sauver la reine en février

1792

.

La présente lettre demeure un des rares documents en mains privées dans lesquels s’exprime les

sentiments de Fersen à l’égard de Marie-Antoinette.

Officier suédois au service de France, Axel von Fersen

(

1755

-

1810

) fut introduit à la Cour et rencontra Marie-

Antoinette au bal masqué de l’Opéra le

30

janvier

1774

. Il appartint à son cercle intime à partir de septembre

1778

, et

la fréquenta donc régulièrement à chacun de ses séjours à Paris, officiellement et en secret. Il était assez souvent absent,

en raison de ses devoirs militaires et de plusieurs voyages : en Angleterre (mai

1777

-août

1778

), au Havre lors des

préparatifs avortés d’une descente militaire en Angleterre (juin-décembre

1779

), en Amérique où il servit d’aide de

camp et d’interprète à Rochambeau (mars

1781

-juin

1783

), auprès de Gustave III de Suède en Italie et en Suède

(septembre

1783

-mai

1785

, juillet

1786

-avril

1787

, avril-novembre

1788

).

La cheville ouvrière de la fuite à Varennes.

Quant éclata la Révolution, en juillet

1789

, Fersen vint s’établir

officiellement à Versailles et, à partir d’octobre de la même année, fut utilisé par Louis XVI et la reine pour leur

correspondance secrète avec les princes, le baron de Breteuil (agent royal), les souverains étrangers, et notamment

l’Autriche par l’intermédiaire du comte de Mercy-Argenteau, ancien ambassadeur d’Autriche à Paris alors en poste à

Bruxelles. Il continuait aussi de remplir le rôle politique que le roi de Suède Gustave III lui avait confié auprès de

Marie-Antoinette en

1785

. Fersen devint dès lors le serviteur zélé et le principal relais du couple royal qui cherchait à

obtenir qu’un congrès des puissances européennes se réunisse pour faire pression sur le pouvoir révolutionnaire.

Surtout, c’est lui qui coordonna l’organisation de la tentative d’évasion du

21

juin

1791

, à laquelle il participa

personnellement puisqu’il conduisit jusqu’à Bondy la berline royale qui fut arrêtée à Varennes. Il se dépensa ensuite