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«
Cher ami, me voici bientôt de retour et bien content de vous revoir. J’espère que votre santé est tout à fait bonne à
présent.
Ce séjour en Angleterre fut un enchantement. Quel culte de la beauté physique ! Quels admirables music-halls !
Quelles jambes ! Quels cosmiques fantaisistes !
Ah ! comme on se sent ennuyeux, insipide, fatigué à côté de ces clowns musculaires !
La vie est là, pas ailleurs, hélas !
Bien affectueusement et à bientôt...
»
Louis-Ferdinand Céline,
Lettres
,
op. cit.
, n°
33
-
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« Crever pour le peuple, oui, quand on voudra, où on voudra,
mais pas p
[ou]
r cette tourbe haineuse, mesquine... »
29. CÉLINE
(Louis-Ferdinand Destouches, dit). Lettre autographe signée «
L. F. Destouches
» à Élie Faure. Paris,
[fin mai 1933]. 8 pp. in-folio, en-tête autographe à son adresse du 98 rue Lepic.
4 000 / 5 000
Extraordinaire et longue lettre politique, d’une extrême virulence.
«
Très cher ami, je crois qu’en effet il ne faut mieux plus insister auprès des journaux intellectuels. Votre nom semble
leur faire peur. Réservons cet article pour
Hippocrate
et nous nous en trouverons mieux.
[Cet article d’Élie Faure, sur
le
Voyage
, paraîtrait finalement dans l’hebdomadaire anarchiste
Germinal
,
en juillet
1933
.]
Le mien dans
Candide
m’a valu des menaces de mort précises, ce qui ne me serait pas arrivé dans un journal de
gauche
[Céline venait de publier le
16
mars
1933
dans l’hebdomadaire
Candide
, de tendance maurassienne, une
« Postface au
Voyage au bout de la nuit. Qu’on s’explique...
»]
.
J’ai demandé quel était le quotidien
le plus lu
. C’est
tout et mon seul souci, toucher le maximum de lecteurs et à tout prendre je préfère ceux de droite. Ceux de gauche
sont si certains de leur vérité marxiste qu’on ne peut rien leur apprendre. Ils sont bien plus fermés qu’à droite. Nul
canard ne m’a plus abîmé que
Le Populaire
au nom de la “valeur et de la dignité humaine” !!!! Daudet m’a fort bien
compris
[l’écrivain, publiciste et critique maurassien Léon Daudet]
.
Le Canard enchaîné
ne peut résister à répandre
auprès de tous un peu de terreur en attendant davantage... “On ne contente personne.” Tous ces gens me dégoûtent,
pêle-mêle, ils sont avides de pouvoir et non de vérité. Hypocritement ils déguisent l’un en l’autre. Abominable
inversion !
La gauche, qu’est-ce que ça veut dire par les temps qui courent ? RIEN, moins que rien.
Au fascisme nous allons, nous volons.
Qui nous arrête ? Est-ce les quatre douzaines d’agents provocateurs répartis
en cinq ou six cliques hurlantes et autophagiques ? Ça, une conscience populaire ? Vous rigolez, ami ! Je ne vois (et je
les connais bien) dans cette sinistre mascarade que de ridicules ou sournois velléitaires dégénérés de tous les idéals,
dont la trahison elle-même ne veut plus rien dire.
Il ne faut plus commettre les fautes de 71. Crever pour le peuple, oui, quand on voudra, où on voudra, mais pas
p
[ou]
r cette tourbe haineuse, mesquine, pluridivisée, inconsciente et fainéante mentalement jusqu’au délire.
Le mur
des fédérés doit être un exemple non de ce qu’il
faut faire
mais de ce qu’il
NE FAUT PLUS FAIRE [la cérémonie
célébrée annuellement par les organisations de gauche au mur des Fédérés du Père-Lachaise, eut lieu le
28
mai, en
1933
,
et connut une ampleur particulière en raison du contexte international, Hitler étant parvenu au pouvoir en Allemagne].
Assez de sacrifices vains, de siècles de prison, de martyres gratuits. Ce n’est plus du sublime, c’est du masochisme.
Regardez ce qui se passe en Allemagne. Une déliquescence générale de la gauche. En France, Napoléon et 10 minutes...
Il n’y a personne à gauche
, voilà la vérité.
La pensée socialiste, LE PLAISIR socialiste n’est pas né.
On parle de lui, c’est
tout. S’il y avait un
plaisir
de gauche, il y aurait un corps.
Si nous devenons fascistes, tant pis. Le peuple l’aura voulu.
IL LE VEUT.
Il aime la trique.
Je ne suis pas aigri. Je suis lucide.
Tous ces agités socialisants se trémoussent dans le vide,
à moins que roublards (la majorité) ils ne cherchent en vous
que de nouvelles idées pour repeindre leur devanture. Je les connais, ami, je les connais bien et je les méprise encore
plus que je les connais.
Ils pourvoieraient n’importe quelle tuerie pour obtenir 20 voix de plus. Ah ! les putrides histrions !
Il se peut qu’ils
jouent un rôle mais ce doit être celui de l’asticot sur le cadavre du capital. Utile, certes, indispensable, mais dans la
partie la plus hideuse du cadavre.
Nous sommes tous en fait dépendants de notre société.
C’est elle qui décide notre destin.
Pourrie, agonisante est la nôtre.
J’aime mieux ma pourriture à moi, mes ferments à moi que ceux de tel ou tel
communiste.
Je me trouve orgueilleusement plus subtil, plus corrodant. Hâter cette décomposition, voici l’œuvre. Et qu’on n’en
parle plus ! Parade de morts. Qu’importe après tout la guitare ou le tympanon.
Les individus délabrés, sanieux, qui
prétendent rénover par leur philtre notre époque irrémédiablement close, me dégoûtent et me fatiguent. Le pus leur
sort par tous les orifices et les voici qui ne parlent que de printemps prochain ! Nous ne sommes pas faits pour sentir
ces choses-là !
À nous la mort, camarade ! Individuelle !
Bien affectueusement...
»
Louis-Ferdinand Céline,
Lettres
,
op. cit.
, n°
33
-
54
.




