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« La fuite vers l’abstrait est la lâcheté même de l’artiste.
Sa désertion... »
37. CÉLINE
(Louis-Ferdinand Destouches, dit). Lettre autographe signée «
Louis F. Céline
» à Élie Faure. [Bad Gastein
dans les Alpes autrichiennes, 22 ou 23 juillet 1935]. 4 pp. in-folio, enveloppe, celle-ci portant des notes préparatoires
d’Élie Faure à sa réponse. Joint, un brouillon de la réponse d’Élie Faure à Céline.
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Lettre majeure, une des trois plus importantes parmi celles adressées à Élie Faure
en juillet et août
1933
(
cf.
supra et infra
, n°
36
et
37
). Elle porte la mention autographe «
2
e
lettre » et faisait suite à celle du
22
juillet
1935
ci-dessus. Céline la fait porter sur sa vision pessimiste de l’Homme, sur sa critique de la notion de peuple, de prolétariat,
sur sa jeunesse laborieuse, sur son exigence artistique qui a éloigné de lui la richesse, sur l’Art en général.
«
Cher Élie, le malheur en tout ceci, c’est qu’il n’y a pas de “peuple” au sens touchant où vous l’entendez, il n’y a que
des exploiteurs et des exploités, et chaque
exploité
ne demande qu’à
devenir exploiteur.
Il ne comprend pas autre
chose. Le prolétariat héroïque, égalitaire,
n’existe pas
.
C’est un songe creux
, une
FARIBOLE,
d’où l’inutilité, la
niaiserie absolue, écœurante de toutes ces imageries imbéciles, le prolétaire en cotte bleu, le héros de demain, et le
méchant capitaliste repu à chaîne d’or...
Ils sont aussi fumiers l’un que l’autre. Le prolétaire est un bourgeois qui n’a pas réussi.
Rien de plus. Rien de moins.
Rien de touchant à cela. Une larmoyerie gâteuse et fourbe. C’est tout. Un prétexte à congrès, à prébendes, à
paranoïsmes... L’essence ne change pas. On ne s’en occupe jamais.
On bave dans l’abstrait. L’abstrait, c’est facile, c’est le refuge de tous les fainéants.
Qui ne travaille pas est pourri
d’idées générales et généreuses. Ce qui est beaucoup plus difficile, c’est de faire rentrer l’abstrait dans le concret.
Demandez-vous à Brughel, à Villon, s’ils avaient des opinions politiques ?...
J’ai honte d’insister sur ces faits
évidents...
Je gagne ma croûte depuis l’âge de 12 ans (douze). Je n’ai pas vu les choses du dehors mais du dedans.
On voudrait
me faire oublier ce que j’ai vu, ce que je sais, me faire dire ce que je ne dis pas, penser à ma place. Je serais fort riche
à présent si j’
[avais]
bien voulu renier un peu mes origines. Au lieu de me juger on devrait mieux me copier au lieu de
baver ces platitudes – tant d’écrivains écriraient des choses enfin lisibles...
La fuite vers l’abstrait est la lâcheté même de l’artiste. Sa désertion.
Le congrès est sa mort, la louange son collier,
d’où qu’elle vienne.




