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« Tout nous pousse et tout change. La poussière elle-même vieillit.

Il y a de moins en moins de voiles sur la mer... »

35. CÉLINE

(Louis-Ferdinand Destouches, dit). Lettre autographe signée «

Destouches

» à Élie Faure. Dinard, «

le 11

»

[août 1934]. 1 p. 1/2 in-folio.

1 000 / 1 500

Belle lettre sur la mélancolie du temps qui passe, illustrée par la disparition de la marine à voile

. De retour

d’un voyage aux États-Unis, Céline était habité par une profonde détresse, ayant découvert là-bas que son grand amour

Elisabeth Craig, à qui il avait dédié

Voyage au bout de la nuit

, lui avait menti et s’était attaché à un nouveau compagnon.

Les voiliers, si présents dans son imaginaire et parfois dans son œuvre, étaient pour lui associés à un lyrisme

sentimental, une vision optimiste de la vie, mais étaient aussi l’image, par leur disparition, d’un monde qui sombrait,

d’une jeunesse qui s’enfuyait...

«

Cher ami, vous étiez trop nerveux à Paris pour que j’insiste et vous rende visite, mais je suis inquiété par votre état.

Sans doute êtes-vous à la campagne en ce moment. Toute ennuyeuse qu’elle puisse être, elle a ceci de bon qu’elle est

en général bonne régulatrice du cœur.

Je suis ici auprès de ma fille

[Colette Destouches, qu’il eut de sa première épouse la dessinatrice Édith Follet, et pour

qui il écrivit un livre d’enfants,

Le Petit Mouck

]

.

Tout nous pousse et tout change. La poussière elle-même vieillit.

Il y a de moins en moins de voiles sur la mer.

Les messieurs à lorgnettes et pantalons retroussés sont tous morts déjà.

C’est ça qu’ils guettaient à l’horizon. Nous aussi. Bien affectueusement à vous...

»

Louis-Ferdinand Céline,

Lettres

,

op. cit.

, n°

34

-

36

.

« L’homme est maudit. »

36. CÉLINE

(Louis-Ferdinand Destouches, dit). Lettre autographe signée «

L. F. Destouches

» à Élie Faure. [Bad Gastein,

dans les Alpes autrichiennes], «

le 22 

» [juillet 1935]. 4 pp. in-folio, une tache claire.

4 000 / 5 000

Sur son travail d’écrivain, et sur la malédiction mortelle qui s’attache à l’Homme.

Première des trois lettres de juillet et août 1933 qui marquent « un tournant capital non seulement dans

les relations de Céline avec [Élie Faure], mais encore dans l’évolution de ses idées, en tout cas de la

conscience qu’en prend Céline.

La solennité du ton, voire la rhétorique, et cette adresse répétée à son ami par son

prénom à résonnance prophétique, qui ne se retrouve dans aucune autre lettre, disent de leur côté l’importance qu’ont

pour lui ces aveux » (Henri Godard, dans Louis Ferdinand Céline,

Lettres

, p.

1696

).

Cf. infra

les deux autres lettres,

37

et

38

.

«

Votre lettre est émouvante. Vous le dites, je vous aime beaucoup, mais je ne vous comprend pas toujours. Vous n’êtes

pas du peuple, vous n’êtes pas vulgaire, vous êtes aristocrate, vous le dites. Vous ne savez pas ce que je sais. Vous avez

été au lycée

[passage proche de certaines pages de

Bagatelles pour un massacre

]

.

Vous n’avez pas gagné votre pain

avant d’aller à l’école.

Vous n’avez pas le droit de me juger, vous ne savez pas. Vous ne savez pas tout ce que je sais. Vous ne savez pas ce

que je veux. Vous ne savez pas ce que je fais.

Vous ne savez pas quel horrible effort je suis obligé de faire chaque jour, chaque nuit, surtout, pour tenir seulement

debout, pour tenir ma plume.

Quand vous serez à l’agonie, vous me comprendrez entièrement, et là seulement.

Je parle le langage de l’intimité des choses.

Il a fallu que je l’apprenne, que je l’épèle d’abord. J’ai tout jaugé.

Rien de

[ce]

que je dis n’est gratuit.

Je sais. Je ne suis.

Je demeure un imagier truculent, rien de plus.

Je ne veux rien être de plus.

Ce que je pense du peuple, j’aurais la pudeur de n’en jamais rien dire.

Cela aussi fait partie de ma viande. Savoir me

taire. Ne pas baver comme un juif, faire l’article, pour vendre, exposer ce qui doit rester secret, pour le vendre.

Je vous parle brutalement, cher Élie, parce que vous êtes de l’autre bord, malgré vous. Vous ne parlez pas notre langue

et vous aimez l’entendre.

On regrettera les guerres, Élie...

L’Homme est maudit.

Il inventera des supplices mille fois plus effrayants encore pour les remplacer...

Dès l’ovule il n’est que le jouet de la mort.

Bien affectueusement à vous...

»

Du

4

juillet au

2

août

1935

, Céline voyagea en compagnie de son amie la pianiste Lucienne Delforge, en Belgique, en

Scandinavie, puis en Autriche où, à Bad Gastein, il travailla à son roman

Mort à crédit

.

Louis-Ferdinand Céline,

Lettres

,

op. cit.

, n°

35

20

.