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40.
Jules BOISSIÈRE
. 34 L.A.S., 1883-1897, à sa mère ; environ 110 pages in-12 ou in-8 (4 télégrammes joints).
3 000/4 000
Très belle correspondance à sa mère, notamment sur son séjour en Asie. Nous ne pouvons donner qu’un aperçu de ces
lettres, souvent très longues.
Août 1883
. Vacances à Aigrefeuille, où il révise son « bachot » qu’il compte présenter, et en Bretagne.
Aigrefeuille dim. 25
. Il
révise activement à Aigrefeuille : « Voilà huit jours que je n’ai guère abandonné la position horizontale sur le gazon où j’étudie
ma cosmographie et mon algèbre ». Il demande de lui acheter des manuels (physique, chimie, histoire naturelle…), pour « ne
pas perdre un jour d’études en arrivant à Paris »...
Août 1883
. Il l’avertit de ses déplacements et de ses arrivées, décrit voyages,
excursions et promenades, loue les paysages bretons autour de Crozon où il ne manque « que les cigales », etc. Il voyage à pied
ou en bateau, en longeant les côtes magnifiques sous un soleil presque méditerranéen. « Je vais écrire tout cela à
l’Écho du
Lubéron
en lui faisant savoir que Brest est devenu provençal »...
1886-1897
. Très intéressante correspondance d’Indochine et du Tonkin, où il fait part à sa mère de son travail et de ses
ambitions dans la carrière administrative, de ses travaux et de ses projets littéraires, de ses voyages, de ses espoirs de congé et
de retour en France, de ses projets de mariage avec Thérèse Roumanille, puis de sa vie avec elle... On y suit aussi la genèse de
ses livres, notamment
Fumeurs d’opium
(1896).
Quang-Yen 28 juillet
1886
. Il se porte très bien, « heureux de voir et d’étudier ce pays de Tonkin », et il apprécie la population
locale : « le peuple est naturellement gai. S’il est devenu fourbe, c’est qu’il a été opprimé »... Il raconte de nombreuses anecdotes
sur son service, dont une véritable épopée où, lors d’une excursion, ils furent attaqués par des pirates qui ravageaient la région
mais qu’ils parvinrent à maîtriser et à faire prisonniers. À leur retour, ils sont accueillis en héros : « Cela fait plaisir aux braves
gens, et le pays se pacifie »...
13 août
. Il vient d’être déclaré bon pour le service militaire mais garde espoir de se faire exempter
par ses relations, dont Paul Bert. Il charge sa mère de démarches près de Clemenceau ou le général Boulanger, pour expliquer
qu’en tant que soutien de famille il ne peut laisser sa carrière, d’autant qu’il vient d’être augmenté… Etc.
1888
.
Hanoï 24 février
. Sous la protection de Constans, Gouverneur général de l’Indo-Chine (en-tête) dont il est le
secrétaire particulier, il espère bientôt pouvoir rentrer en France, avec son boy Nam. Départ prochain pour Saïgon. Il est autorisé
à envoyer des correspondances au
Siècle
, et parle de son prochain avancement, etc.
Quinkon 28 octobre
. Il va écrire à Aimé
Puech pour le remercier de ses éloges et de son excellente critique de
Provensa
... « J’aurai quelque chose dans
L’Armanà
de cette
année ». S’il aime moins l’Indochine que le Tonkin, il a pu voyager et apprécier ce nouveau pays : « je ne me suis jamais ennuyé
en Moyen-Orient [...] ce qui me tracassait, c’était l’ambition de voir du pays, un pays neuf. Je suis devenu complètement
annamite, sauf pour le costume, (et encore, chez moi, je suis en indigène) »... Son éditeur Plon lui a envoyé le livre à succès
Dans les montagnes rocheuses
de Grancey, et il espère que son ouvrage sera aussi intéressant : « Je préfèrerais pourtant être
édité chez Lemerre ». Il doute que son ouvrage
puisse être présenté au concours de l’Académie
:
« Il y a dans
Provensa !
des
mots “marlou, catin”, etc. qui passeraient malaisément sous les yeux pudibonds du père Doucet. Il y aurait peut-être quelque
chose à faire du côté d’Ernest Daudet et de son
Moniteur Universel
», à qui il pourrait envoyer des textes à publier
: qu’elle
écrive à Frédéric Mistral pour qu’il le recommande, mais sans oublier que Daudet est royaliste et clérical... Il se souvient de
Thérèse Roumanille, camarade de couvent de sa sœur Marinette : aujourd’hui c’est « une jeune félibresse fort intelligente et
d’une conduite très honorable », envers laquelle il exprime ses intentions ; il demande à sa mère de renouer les relations en
écrivant à Mme Roumanille : « On ne s’en étonnera pas, car Roumanille m’aime beaucoup. Je tiens fort à ce que vous fassiez
cela. Notez bien que j’ai chargé Roumanille et Mistral de me marier, et bien à mon retour !!! »...
Monkay 5 août
. Il va rester
ici jusqu’à la fin de ses trois ans, et a un plan de carrière : « Si M. Constans me nomme chancelier, avec ce titre et un peu de
piston
, il me sera facile [...] si je me mariais par exemple à Avignon – puisque vous connaissez mon fameux projet – d’avoir un
petit coin tranquille en Tunisie ou ailleurs ». Il aura le temps, pendant ses six mois de congé, de voir si ses livres marchent. Il
va proposer au
Courrier français
et aux
Annales littéraires
une série d’études, et il travaille beaucoup : il a fini « en gros » son
plan, et « un premier brouillon de mon livre de vers », qu’il aura terminé dans deux mois, ainsi que le brouillon du
Voyage
, « et
je me mettrai aussitôt au roman » qui devrait être presque terminé et prêt à publier à son retour en France...
15 septembre
. Il
est nommé à Hung-Hoa, sur le Fleuve Rouge, ce dont il se réjouit, car il visitera ainsi la seule région qui lui manquait pour son
ouvrage. Il charge sa mère d’envoyer à Théodore de Banville son étude sur lui, parue dans
La Haute Loire
. Il a hâte de rentrer :
« Vous me trouverez plus intraitable et plus sauvage que jamais [...] j’ai vécu trois ans avec les seuls indigènes, les étudiant,
les analysant, et j’aime mieux causer de choses nouvelles avec un mandarin que dire à une demoiselle qu’il fait bien chaud »...
1889
.
Chomoi 1
er
juin
. Il maudit la fantaisie de ses chefs qui l’envoient ici, même s’il y est son maître et qu’il y a peu
d’Européens : « je ne me plaindrais pas si l’heure du retour n’avait vraiment sonné depuis longtemps. Si encore il arrivait de
France une belle nomination de chancelier ! » Il craint d’être « oublié dans ce tour », mais cela ne l’empêche pas de travailler
de toutes ses forces « et de penser que j’ai d’assez bonnes choses en portefeuille ». Il est pourtant assez bien ici, seul : « Les
Européens, ils ont toujours leur petite volonté, leur niaise façon de voir. J’aime mieux les annamites, comme intelligence et
comme obéissance. D’ailleurs je les préfère en tout »...
Luc Ngan 2 novembre
. Son retour se rapproche à grands pas. Par malheur
le nouveau Résident va arriver ainsi que 400 miliciens, et ce qui faisait le charme de ce séjour va partir en fumée : « Luc Ngan
deviendra pays civilisé, quelle horreur !». Il est si bien ici, « je suis le seul européen, et il n’y a pas encore de télégraphe ! [...]
Je loge chez le vieil huyen à barbe blanche [...] je n’ai ni pain ni viande et je suis heureux comme un poisson dans l’eau »...
31
décembre
, il a son congé administratif en poche, mais il décide (
13 janvier
1890
) de repousser son départ au mois de février,
après avoir arrêté les impôts annamites. Il compte, à Paris, « travailler beaucoup l’annamite et les caractères, avec tout ce que
j’ai écrit à polir et à repolir ». Il compte mettre à profit ce congé pour travailler...
9 avril
. Il n’est pas parti : « Il est écrit que je
commencerai mes vingt-sept ans au Tonkin. Parti gamin, je reviendrai vieillard. Et pourtant, je me démène pour rentrer vite.
Il a reçu un très beau présent en soie brodée d’un vieux mandarin, ancien gouverneur de la province de Quang-yeu, qui doit
avoir beaucoup de valeur »... Il est très occupé, car indépendamment du travail de bureau, il étudie assidument l’annamite et
les caractères chinois, et va aussi prendre des cours de droit administratif. « Dès que j’ai un moment de liberté, j’écris 20 ou
30 lignes ». Il sera à Paris en automne et en profitera pour suivre les cours de l’École d’Administration Coloniale, pour accélérer
son avancement et sa nomination à un poste de vice-résident : « Voilà près de 10 mois que je suis chancelier »...
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