Lot n° 11

Loustalot Jacques

Estimation : 700/1 000 €
Description
[Saint-Martin de Seignaux, 1925 - Paris, 1948], ami de Boris et Michelle Vian, surnommé « le Major ». Importante correspondance adressée à Michelle et Boris Vian : — 8 dessins de mode signés. — Faire-part du décès de Jacques Loustalot. — Carte de déménagement de Denis Batardière. — 9 cartes postales amicales. — Lettre autographe. Avril 1943 ; 7 pages in- folio. Sur son arrivée à Bordeaux. Il raconte son voyage pour aller à Bordeaux, ses rencontres avec des personnes sur le quai qui lui ont offert plusieurs verres, son arrivée à l’usine où il a été fouillé et humilié. — Lettre autographe signée adressée à Michelle. Avril 1943 ; 4 pages in-folio. « Il est au camp de Corbiac. Mon père, il est “major” (et c’est moi !) du camp. Alors on parle de moi en disant “le fils du Major” ». Il lui raconte « l’incendie qui brûle depuis hier soir dans les forêts de pins — depuis la mer et qui arrive maintenant jusqu’à nous. […] J’aurais envie d’aller par là-bàs, et de danser dans le feu. » Il lui dit sa difficulté à écrire « C’est dur d’écrire et j’ai pas l’habitude. Et c’est peut- être rasoir. Mais tu m’en voudras pas, dis Michelle ? […] Je suis ici comme employé de bureau J’fais pas grand chose, et je mange bien. […] Les Allemands, on les voit pas du tout, mais on les sent pas loin. […] Pour qu’on sorte, du reste, faut des laissez-passer, signés du major du camp. Alors je sors comme je veux, puisque le major, c’est mon papa. » Il termine « Écris lisiblement, je passe des journées à déchiffrer tes lettres. » — Lettre autographe signée. Au camp de Corbiac, avril 1943 ; 12 pages in-4°. Il a été réveillé dans la nuit par un individu qui gesticulait en bas de sa fenêtre. Endormi, il est allé le rencontrer au poste de sécurité. Il s’agissait d’un chauffeur à qui l’on interdisait de sortir du camp, pour aller chercher le médecin qui devait pratiquer des prises de sang obligatoires pour tous dès le lendemain. Un marin se trouvant présent a mal interprété les propos de Loustalot et une altercation intervient. — Lettre autographe signée, adressée à Michelle. Mai 1943 ; 2 pages in-4°. « J’ai le cafard ma Michelle. J’ai le cafard et je bois. Beaucoup trop, je crois. Comment faire ? Le film est magnifique et marrant. […] Ici, avec ces putains de bombardement, on est appellé à perdre toutes ses affaires. Je suis pas mort de celui de l’autre jour, mais s’en est fallu de peu. Te raconterai. Tu m’écris jamais. C’est pas gentil. Moi je vais plus t’écrire, parce que j’en suis maintenant incapable. C’est fini. » — Lettre autographe signée. « Triste camp, dimanche ». Mai 1943 ; 4 pages in-folio. Il raconte un dimanche passé au camp. Il se rend chez une femme pour une panne électrique. « Et avant que j’ai pu intervenir, notre Major a sur lui une drôlesse ricanante et édentée, une furie echevelée et puante, qui lui tremblote à l’oreille des mots sans suite — impossibles à répéter ici. » — Lettre autographe, adressée à Michelle. Juin 1943 ; 2 pages in-4°. « Seul, je suis tout seul […]. Je suis garde-magasin à Corbiac. […] Mais je m’enmerde. C’est le cafard qui fait ça. Y a rien à faire. J’ai même pas le courage d’écrire. Il a fallu que je boive — il y a dix minutes — un grand verre de eau- de-vie […]. Et je couche dans le magasin, une grande bâtisse de xoisante mètres de long. J’ai ma chambre au bout. L’emmerdant, c’est qu’il y a des puces et des punaises. Remarque que je m’en fous, elles viennent pas sur moi. » Il lui soumet une recette pour chasser les morpions, puis « Je me souviens vous devoir du fric. Je t’enverrai çà à la fin de juin. Je touche 2 500 par mois, et j’ai déjà plus de rond. C’est tout bu. C’est honteux ma Michelle ? J’ai pas autre chose à faire. » — Lettre autographe signée, adressée à Michelle. Septembre 1943 ; 4 pages in-8°. « Je suis dégouté, absolument dégouté. Ces derniers jours, deux choses certaines : j’ai décidé de tuer un homme (comment ? je ne sais pas encore ) […]. 1 000 bonhommes doivent arriver à la fin du mois. […] Quant à l’homme que je vais tuer, j’ai pris cette décision de sang froid (car je ne bois plus) et je sens que je ne serais tranquille que quand il sera mort. » Les Americains sont venus bombarder le camp mais les bombes sont tombées à côté. « Ce main, avec un peu de soleil, j’ai tourné une bobine que je t’envoie en même temps que cette lettre. Fais-la développer le plus rapidement possible, tu seras bien gentille. Dis à Boris qu’il se procure sans faute et le plus vite possible des films vierges […] Je vais croûter — j’ai faim. Je t’aime bien. Jacques. Bizobizon. » — Lettre autographe signée. [Mai 1944] ; 4 pages in-4°. « Je m’amuse bien — une vraie rigolade — quelques appareils sautent, des gars se retrouvent en caleçons, quelques morts graves de temps en temps et le Major sur ses pieds — Vive le Major ! ». On joint 12 lettres autographes signées ou non adressées à Michelle et Boris Vian. Correspondance amicale adressée à son retour du camp de Corbiac. On joint une biographie manuscrite signée de Michelle Vian : Jacques Loustalot, fils de Marcel Loustalot, maire et notable de Saint Martin de Saignaux dans les Landes (qui avait aussi un appartement rue du Bac à Paris) était en désaccord perpétuel avec son père qu’il appelait “ce con de Marcel”. Le père ne s’entendait pas avec la mère qui avait été son infirmière pendant la guerre de 1914 et Jacques adorait sa mère. Il était très gentleman. Il adorait Kipling, parlait bien anglais sans être bon élève, était borgne et portait un oeil de verre. À la suite d’un accident, peut-être en voulant démonte une arme, il laissait penser parfois par romantisme, qu’il avait fait, enfant, une tentative de suicide. Il se présentait et signait sa correspondance sous le nom du “Major, le bienheureux Major de retour des Indes”, et ornait son courrier de timbres indiens. Je le rencontrai à Capbreton où j’étais arrivée avec ma famille à l’exode de 1940, sur le chemin de la plage où il m’aborda avec une grande politesse. Il était grand, brun, les yeux noirs et nous fûmes tout de suite extrêmement amis, moi avec confiance et lui avec une extrême politesse. Quand Boris arrive, lui aussi amené par l’exode. Lors d’une surprise party, je rencontrais Boris et Boris rencontrait le Major dont l’esprit teinté d’humour anglais le séduisit immédiatement. Il devint le principal acteur, le personnage à la fois diabolique et policé des romans et nouvelles de sa jeunesse Naturellement il connaissait tout du swing et possédait des disques d’Amstrong et autres jazzman américains. Il fut jusqu’à sa mort, le meilleur et le plus généreux des amis de Boris. Il est mort en tombant d’une fenêtre, au cours d’une surprise party en 1948 à 3h. du matin. Il était toujours au courant de toutes les parutions littéraires et musicales. (Michèle Vian)
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