Lot n° 98
Sélection Bibliorare

Jacques CHARDONNE (1884-1968). Manuscrit autographe, [vers 1931-1932] ; cahier cousu in-fol. de 178 pages. Cahier de premier jet de notes, réflexions et remarques préparatoires à son livre L’Amour du prochain (Grasset, 1932). [« L’Amour du...

Estimation : 4000 / 5000
Adjudication : 7 084 €
Description
prochain, écrit à l’instigation de Jean Paulhan et dédié à son fils Gérard Boutelleau, inaugure la série des “essais” de Chardonne, recueils de remarques accumulées par un esprit qui s’interroge sur son temps. Un anticonformisme absolu les caractérise, ce qui signifie qu’ils repoussent aussi radicalement le conformisme du non-conformisme. Liberté totale », écrit Ginette Guitard-Auviste (Jacques Chardonne ou l’incandescence sous le givre, Olivier Orban, 1984, p. 161), qui cite Edmond Jaloux : « Sur chaque chose, il a les opinions les moins conventionnelles ; celles de la maturité quand elle demeure libre ».]
Ce cahier est écrit à l’encre noire, au début au fil des idées et de la plume ; par la suite, Chardonne a ordonné son cahier par rubriques appelées par un petit signet rouge (Beaux-arts, Sentiment, Affaire, Varia). Beaucoup de pages sont vierges de toute correction, mais d’autres sont raturées, corrigées et surchargés de nouvelles leçons. On relève quelques rares dates. Chardonne a marqué beaucoup de passages de son cahier de traits marginaux, sans doute pour signaler leur importance à lui-même. Il en a aussi barré certaines, d’un trait diagonal, probablement après l’intégration à son livre.
Le cahier s’ouvre ainsi : « Habitué à m’exprimer dans un roman, je suis interdit. Il y a pourtant des choses qu’on n’exprime pas dans un roman, ni même en parlant. Je veux les écrire. […] Ce qui arrête beaucoup d’idées qui ont leur valeur, ce qui les sèche au bout de la plume, c’est la préoccupation qu’elles valent la peine d’être dites. De là un choix excessif, une concision fatigante, un approfondissement, qui les vide de leur meilleur contenu ; on les rétracte jusqu’au mot d’esprit ou jusqu’à l’obscurité. Je voudrais oser tout l’intermède, l’indicible, qui n’est pas ce que l’on croit, au-delà de l’expression, mais trop familier, facile, pour qu’on ose le dire »…
Ces réflexions touchent les sujets les plus divers : Le Prochain, l’amour et l’amitié, la femme et l’amour, la politiques, etc. Plusieurs sont précédées de titres : Pensées morales, Art, Famille, Politiques, La cruauté, Paysan, Religion, Beaux-arts, Mariage, Visite à Mme Pierrebourg, Visite de Jacqueline, Vieillesse de femme, Âge, Enfant, Femmes, Capitalisme, Révolution, Bourgeois, etc. Plusieurs notes concernent la Russie et le bolchevisme, la liberté, le machinisme… Certaines commentent l’accueil fait à son roman Claire, paru en 1931… Etc.
Citons trois entrées au hasard. « Les écrivains qui ont le mieux parlé de l’amour ne l’ont pas connu. Les amants fameux dont la mémoire s’est conservée, étaient séparés, et ont laissé comme témoignage de leurs sentiments des lettres brûlantes et une fable tragique. Il n’est pas surprenant que l’amour soit finalement regardé comme une illusion, ou plutôt une aspiration qu’il est imprudent de contenter. Mais si une seule fois, dans le mariage, […] si la présence, l’intimité, les années ne l’ont pas éteint mais accru, c’est qu’il existe vraiment sur terre, et n’est pas un mirage des sens exaspérés »… « Dans mon prochain livre j’étudierai le problème sans remords, de celui qui a sacrifié un être à son propre bonheur. Il faut être sûr qu’on ne perd rien. Dans tant de cas, c’est inutile. On n’aura jamais assez de bonheur, pour payer la peine fait »… « Convertis. Vu Mauriac. Sa haine contre mon succès – cette médisance voluptueuse qui lui échappe. Cette haine du prochain, qui est sur sa route du succès. Converti dans l’intervalle, il n’a rien changé dans sa chaire. Ce n’était pas tant la concupiscence que l’amour de soi qui le travaille, le désintéressement de ce qui est “autre”. C’est pourquoi il vomit la terre, la calomnie, car il se sent mauvais. Et la “conversion” n’a rien changé »…
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