Description
cahier, dans une écriture large et tremblante, des anecdotes et souvenirs, des observations sur la vieillesse, des réflexions sur la littérature. Les corrections au fil de la plume abondent. Un grand nombre d’entrées sont barrées, sans que l’on puisse savoir si Chardonne en a fait usage ailleurs ; il arrive que l’auteur revienne plusieurs fois sur les mêmes histoires ou formules, parfois avec quelques variantes (le style de Paul Morand, une première rencontre d’André Malraux, un souvenir de Barrès à la Revue hebdomadaire, des phrases lapidaires sur les infirmités, la mort, etc.).
La date de 1968 est récurrente [Chardonne mourut le 29 mai 1968]. Le cahier s’ouvre sur des noms d’écrivains et critiques, la plupart contemporains : Gabriel Marcel, Henri Clouard, Robert Sabatier, Jean Mistler, André Bay, Antoine Blondin, André Fraigneau, et de quelques disparus (Giraudoux, Henri Bidou). « 90 ans, âge triste, et même terrible ; on est devenu un inconnu pour soi-même »… « Vers l’an 1920 j’ai vu Malraux trois minutes chez P.V. Stock. Son veston avait bonne mine. Marcel Arland vêtu d’un uniforme de soldat l’accompagnait, légèrement ébloui, je crois, par son compagnon. Près d’un siècle a passé sans que j’aie désiré revoir Malraux »… « Écrire, cette façon d’être ailleurs »… « Mes écrits aujourd’hui ne sont pas convenables. Je rejette ce que je ne puis supporter »… « Quelle responsabilité que d’écrire : donner de l’espoir sans motif ; décourager sans raison »… « La vieillesse est chez moi une forte vibration ; la pensée, capable de tout, sans relâchement, indifférente au présent, qui est déjà sans lendemain »… « François Mauriac voudrait aimer ; à la place il sourit, le visage crispé par ce désir »… « Vers 80 ans, une surprise : cette solitude si dense »… « La littérature est faite avec le rebut de l’imagination, et un peu d’audace : le toupet d’écrire n’importe quoi »… « En toute chose, Valéry est merveilleux ; il ne s’est jamais trompé même en paroles. Sagesse suprême : le mépris de l’homme, avec des nuances bien claires, et d’abord, le bon goût de ne point le montrer »… « On prit d’abord Nimier, ce tragique croyant, pour un dandy »… « Mon beau-frère, Jacques Delamain, fut un “résistant”. Comment cela s’est fait, je l’ignore ; toute grandeur est un peu dans les nuages. Quelques “résistants” dont le sort fut tragique, ont illuminé les autres ; souvent, les meilleurs sont restés dans la nuit »… « Pour écrire bien, il suffit d’effacer tout ce que l’on écrit »… « Le général de Gaulle, belle figure française, se moquait, comme fit Renan, de ce poison nommé liberté ; on peut admirer le général de Gaulle, si l’on a offert d’abord au maréchal Pétain l’hommage qu’il mérite »… « Il me semble que personne n’a lu mes livres, quoique plusieurs […] aient dépassé une vente de cent mille (je n’oserai dire le total des ventes de Claire, à différents prix chez sept éditeurs). Je n’ai rien dit sur ce sujet parce qu’il ne me semble pas convenable »…
On rencontre aussi les noms de Barrès, Benda, Caillaux, Kleber Haedens, Claude Mauriac, Denise Bourdet, Hélène Morand… On lit, à la dernière page qu’il a écrite : « Bientôt tout sera fini. Je n’ai pas eu la conscience du début ; on flotte partout dans l’infini. Paul Morand me rappelle ce mot de B. Constant : “Le sentiment de l’amour n’a rien de commun avec l’objet qu’on aime” »… Et, après deux essais de formulation : « Ceux qui ont un bon vocabulaire pour parler de l’amour, sortent facilement du sujet. On gagne à courir tous ces livres à la fois »…