Lot n° 140
Sélection Bibliorare

Georges CUVIER (1769-1832) zoologiste et paléontologiste. [AF] 15 lettres autographes (une signée GC), 1802-1803 et s.d., à Constant Duméril, professeur à l’École de Médecine de Paris ; environ 55 pages in-4, 8 à en-tête G. Cuvier, Membre...

Estimation : 4000 / 5000
Adjudication : 8 372 €
Description
de l’Institut national, Professeur au Collège de France et au Muséum national d’Histoire naturelle, la plupart avec adresse, quelques cachets de cire (souvent brisés ; qqs petites déchirures par bris de cachet).
Très belle et importante correspondance scientifique et amicale à « l’ami de son cœur » et son collaborateur pour les Leçons d’anatomie comparée. [Constant Duméril (1774-1860), médecin et naturaliste, fut professeur d’anatomie à l’École de Médecine, et professeur d’erpétologie et d’ichtyologie au Muséum.]
Fontainebleau [16 brumaire XI (7 novembre 1802)]. Il a pris la décision d’autoriser son frère à se marier : « Je ne vois pas d’autre moyen de m’entourer d’un peu de gaîté. J’aurai au moins le contentement des autres pour consolation de mon malheur ; […] je ne pompe que les poisons de la mélancolie ; mon caractère est comme ces fruits à pulpe sucrée, à amande amère ; j’amuse les autres et je pleure »… [Tain 25 brumaire (16 novembre)]. Il voyage : « ma voiture est un vrai cabinet où je travaille tant qu’il me plait. Ses 4 glaces en font une espèce de serre chaude, et lorsque je regarde elles me présentent la plus superbe lanterne magique ; pays enchanteur »… À Lyon, il a passé deux soirées charmantes avec la famille Jussieu, et fait une excursion sur les hauteurs environnantes avec Jussieu et Gilibert, déjeunant avec ces naturalistes dans une hutte du temps des Romains. Les Lyonnaises sont toutes charmantes : « je ne m’étonne plus que Madame Biot en soit. C’est là je crois qu’il faudrait choisir sa maîtresse ; mais il faudra l’emmener ailleurs. Au bout de 4 jours on doit s’ennuyer dans une ville sans lettres, sans société, et dont le spectacle est détestable »… Marseille 1er frimaire (22 novembre). Depuis 9 jours il visite de petites écoles « pleines d’écoliers ignorants et de maîtres imbécilles » ; il a cependant acheté des poissons de la Méditerranée dont il envoie les squelettes à M. Rousseau et dont il met les viscères dans l’esprit de vin ; il a aussi recueilli des mollusques. Il va partir pour Aix, Saint-Maximin, Brignoles, Draguignan : « chemin à se rompre bras et jambes, et des voleurs par-dessus le marché »…Il revient sur sa mélancolie affective : « Les passions vrayes flétrissent trop le cœur ; elles le rendent incapable d’être heureux ; c’est comme en chimie ; rien n’est moins combustible que ce qui est brulé ; voilà le secret de mon cœur ; c’est une cendre épuisée »… Draguignan 8 frimaire (29 novembre). Vives plaintes au sujet des routes atroces, et des écoles, avec anecdote sur un « prétendu maître » de géométrie ; il ironisesur une Société d’émulation digne du Vaudeville. Il a vu à Aix un nommé Boyer de Fonscolombe, « qui se dit grand amateur d’insectes ; mais tu ne lui as pas répondu ; si ses lettres lui ressemblent je ne m’étonne pas de ton silence »… Nice et Fréjus 13-15 frimaire (4-6 décembre). Les routes sont si mauvaises que la duchesse de Cumberland, hivernant à Nice, a dû faire arranger le chemin par des soldats. Cuvier admire cependant le climat, la végétation, les parfumeries de Grasse, le gibier et quelques bonnes surprises, comme un maître d’école versificateur à Callian, ou le sous-préfet de Grasse « qui a une très belle bibliothèque et qui au courant des choses les plus nouvelles ». Il raille cependant le goût de ce dernier pour Delisle de Salles et Gérando, avant de s’indigner de l’ignorance des instituteurs : à Nice, « un pauvre diable qui ne sait pas le latin, mais seulement l’anglais », n’a enseigné que cela, « et les élèves de l’école centrale qui baragouinent un peu de mauvais anglais, ne peuvent pas expliquer une fable de Phèdre. Le reste est à l’avenant. Il y a des grands garçons de quinze ans qui ne savent pas écrire deux mots de français correctement. Ce sont de pauvre moines italiens qui leur donnent des leçons particulières, en vérité on ne peut deviner sur quoi »… Il raconte son dangereux passage du Var à gué… Marseille 24 frimaire (15 décembre). En quinze jours, aidé d’un ami de Deleuze, il a « déjà recueilli beaucoup de poissons. J’ai fait dégrossir les squelettes de quelques-uns, mais ce qui me tardait depuis longtems j’ai recommencé mes anatomies de mollusques, pas celle du Murex tritonis, grosse coquille dont l’animal ressemble fort à celui de Buccinum andatum, que j’ai disséqué l’année dernière, mais dont la grandeur me donnera des résultats curieux »… Il a d’ailleurs d’autres choses dans son bocal. « Je veux tâcher de rester digne de toi, et du rôle que j’ai eu dans les sciences ; si l’ambition m’a tenté un instant, j’espère que cette faute n’aura pas d’influence durable sur ma vie. Je serais au désespoir même d’être ministère, aux depends des travaux que je crois m’être réservés »… Il ne s’étonne pas du succès de M. de Candolle : « Je lui écris aujourd’hui même ainsi qu’à Biot et à Lacroix »…
Marseille 18 nivose (8 janvier 1803). Duméril, Geoffroy et Biot lui annoncent une bonne nouvelle : « je serais tiré d’une manière honorable de la chienne de galère où je suis, et je serais placé au poste qui me convient le mieux […] Je dissèque toujours à force ; j’ai eu des pennatules vivantes de 3 espèces, toutes aussi phosphorescentes que la phosphorée ; la pennatula cynomorium de Pallas, qui est l’alcyonium epipetrum de Gomel, et un de mes vérétilles est la plus phosphorescente de toutes. Ses polypes sont longs d’un pouce et larges de 4 lignes ; je lui ai trouvé un estomac, avec des intestins intermédiaires entre ceux des méduses et ceux des astéries. J’ai remarqué aussi qu’une pennatule n’est réellement qu’un seul animal, qui a seulement des bouches et des intestins multiples, mais dont la volonté locomotive est une, et où le système nutritif résultant de tous ces intestins multiples est également un ; cela éclaircira singulièrement la théorie physiologique des coraux, et autres Zoophytes. J’ai eu des yeux de thon plus gros que des yeux de bœuf. J’y ai revu en grand tout ce qu’Haller avait vu en petit sur les truites, et j’ai rectifié beaucoup de ses observations. Si je suis réellement nommé secrétaire [de l’Institut], et dispensé de mes fonctions d’inspecteur, je resterais ici quelques semaines de plus […], et ce séjour me fournirait de quoi entretenir l’Institut et de quoi nourrir le Bulletin pendant un an »… 30 nivose (20 janvier). Il évoque le curieux monstre dont lui a parlé son ami, et un protégé à recommander au premier Consul. Il travaillle à un mémoire sur le Laplysia, retravaillé à neuf : « Cet animal est à lui seul un sujet presque inépuisable ; autant j’en ouvre d’individus, autant j’y trouve de particularités remarquables ; par exemple je viens de trouver dans le troisième estomac, des crochets aigus, de substance cartilagineuse très nombreux, et dont la pointe est dirigée en avant. Ils m’avaient échappé jusqu’ici, parce qu’ils n’adhèrent pas plus à la veloutée, que ne le font les pyramides de même nature qu’on trouve dans le second estomac J’ai bien certainement constaté le fait des grandes veines qui s’ouvrent librement dans la cavité de l’abdomen. J’ai fait du système nerveux un dessin qui j’espère te fera plaisir par ses détails et son exactitude. La Laplysie cependant malgré toutes ses beautés, ne m’absorbe pas tout entier ; j’ai beaucoup travaillé sur les oursins ; j’ai trouvé que leurs dents s’usent comme celles des quadrupèdes herbivores, et qu’il y a de même par derrière une substance qui se durcit à mesure que le devant diminue »… Il compte faire une anatomie du calmar, et « réfuter les sottises de Tilesius sur les branchées de la seiche »… 10 pluviose XI (30 janvier 1803) [lettre complète, mais une petite note sur le feuillet d’adresse a été déchirée]. Auguste Bataille lui portera le mémoire sur le laplysia ; Cuvier travaille à présent sur les seiches, trouvant à Marseille de grands mollusques comme à Paris on trouve des lapins ou des poulets : « il suffit de demander »… Montpellier 22 ventose (13 mars). « Me voici dans la ville médicale par excellence, je suis tout fier d’avoir vu les Fouquet, les Gouan, et tous les autres fameux docteurs dont toute l’Europe vient rechercher les ordonnances ; Dumas m’a fait dîner avec les principaux aujourd’hui, et il m’a fait voir ce matin les portraits de ceux […] morts les uns depuis plus de cinq cents ans ; les autres depuis moins. Toutes leurs salles en sont pleines, et c’est vraiment une idée imposante ; on y voit Arnauld de Villeneuve, et Rondelet et Rabelais de joyeuse mémoire, et Vieusseux, et Chirac »… Quant aux vivants, Gouan ressemble à Lamarck, et Fouquet a une tournure plus noble qu’aucun médecin de Paris. « Draparnaud, Baumes &c ne chassent pas avec ceux là ; le premier surtout paraît abhorré ; je ne sais en vérité pourquoi, car hors son égoïsme d’amour propre, il ne manque ni d’esprit ni de connaissances. Il m’a donné un bulla lignaria et m’a fait voir les pierres de Cette et de Gibraltar où j’ai reconnu des machoires d’écureuils fossiles. J’ai aussi vu, et tenu le fameux os humain fossile de Gouan, et c’est un os de cerf plus que jamais pour moi »… Bordeaux 6 germinal (27 mars). Il s’étonne de n’avoir obtenu que 25 voix sur 45, que presque la moitié ne voulût pas de lui. « Tu as raison de dire que les gens qui me jugent impérieux ne me connaissent pas ; ce n’est pas de moi-même que je me juge ; mais je vois que tous ceux qui ne veulent pas fréquenter ma société seulement pour des vues d’intérêt, s’attachent à moi. Il faut donc bien que je ne sois pas si dur ; je peux bien te parler de cela puisque j’ai à me justifier ; mais enfin voilà dix ans que je suis aimé d’une femme sans qu’elle se soit plainte une minute de mon caractère ; je peux te dire encore que je viens d’exciter une passion violente qui aurait pu faire bien du mal à celle qui l’a ressentie ; mais vos bégueules, et ignorantes bourgeoises, n’aiment que les calembourgs et le ton de cotterie ; aussi j’y renonce pour jamais ; je me suis arrangé je crois pour passer doucement ma vie »… Cependant il n’a jamais été aussi embarrassé de sa vie qu’à présent, « entre vous trois, Geoffroy, Brongniart et toi ; je voudrais que vous arrangeassiez entre vous lequel je dois servir »… 7 germinal (28 mars). Son conseil est de faire le livre sur l’histoire naturelle, mais refuser celui sur la minéralogie : « pour te mettre au courrant tu perdrais un temps précieux, et faire un livre élémentaire d’une science qu’on ne possède pas parfaitement, c’est se condamner à faire un mauvais ouvrage »… 25 germinal XI (15 avril 1803). « Je sais encore tout le détail de l’affaire de l’élection ; et les sots calculs qui m’ont fait envoyer à Bordeaux, et la manière ridicule dont ils ont été trompés, par deux sots qui n’ont pas assez de crédit pour intriguer. Enfin il entrera probablement à l’Institut quelqu’un qui aurait besoin d’aller d’abord au collège »…
[Fécamp]. Il presse Duméril de venir le retrouver ; il n’y a pas de raison de rester pour la distribution des prix… Il se livre à quelques remarques ironiques sur le Sénat et le gouvernement… [Valmont]. « Je travaille toujours ; j’ai fait un plan superbe pour mon cours du lycée » ; il ne fera pas de géologie pour ne pas déplaire à Brongniart, « mais j’y ferai une histoire de l’homme très détaillée, où je traiterai du globe comme séjour de l’homme, de l’influence de la nature de chaque pays sur le genre de vie des hommes qui l’habitent, de l’antiquité du genre humain, et autres questions importantes de philosophie et d’histoire naturelle, qui m’amèneront naturellement à traiter celles de la Géologie »… Il parle de l’avancement de leur ouvrage, auquel il travaillera cet hiver. « J’ai prié mon frère de vous engager à choisir pour moi des instruments de dissections pour monter le petit laboratoire qui sera à côté de ma bibliothèque »…
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