Lot n° 11

SCÈVE, Maurice. Delie. Obiect de plus haulte vertu. Lyon, Sulpice Sabon pour Antoine Constantin, 1544. In-8 de 204 pp., (9) ff. de table, (1) f. portant au verso la marque typographique : maroquin bleu nuit, dos à nerfs orné, triple filet doré...

Estimation : 120000 / 150000
Adjudication : 160 000 €
Description
encadrant les plats, dentelle intérieure, coupes filetées or,
tranches dorées sur marbrures (Bauzonnet-Trautz).
ÉDITION ORIGINALE, D’UNE TRÈS GRANDE RARETÉ.
Le mot privilège imprimé au bas du titre est orthographié “privleige”, comme dans les deux
exemplaires conservés à la Bibliothèque nationale de France. Certains exemplaires portent “privilege”
ou encore “privileige”.
“C’est là le résultat probable d’une faute d’impression mal corrigée, comme le pense M. Guégan ;
une faute typographique ne justifie pas un tirage, bien que M. Eugène Parturier estime qu’il y eut
de ce fait quatre tirages au moins de cette 1re édition. C’est beaucoup. Le privilège est du 30 octobre
1543” (Tchemerzine V, 746).
Premier tirage de la fameuse suite de bois gravés spécialement réalisée pour cet ouvrage.
Elle se compose de 50 vignettes emblématiques entourées de décors grotesques et d’un portrait de
l’auteur placé au verso du deuxième feuillet liminaire. Une relation sémantique directe s’observe,
dans la plupart des cas, entre la légende de l’emblème et l’un des vers du dizain suivant.
Un des fleurons de la poésie française de la Renaissance : les 449 dizains formant ce sublime
canzoniere amoureux et hermétique sont dédiés à l’idéale Délie.
Ce livre extraordinaire garde encore une partie de son mystère. Qui se dissimule sous le voile de
Délie ? Amour réel ou sublimé, inspiration chrétienne ou subversion sacrilège ? Pour Françoise
Joukovsky, “c’est bien cette opacité qui nous attire, comme une eau sans fond derrière la glace des mots”.
“Parcourir avec Scève l’espace de l’âme, poursuit-elle, car la Délie est une mise en abyme, et y percevoir
dans un jaillissement d’images élémentaires l’inouïe contradiction de notre être, qui est désir et peur,
volonté d’exister et attrait pour le néant. Découvrir que la durée humaine ne va pas seulement vers
l’espoir, vers l’avant, mais qu’elle déroule dans tous les sens l’entrelacs des souvenirs et des regrets.
S’étourdir dans les méandres du paradoxe, puisque l’amour, mort bienheureuse, est de nature
paradoxale, comme la vie, cette absence qui se prend pour une présence. Revenir, le temps d’un
regard, aux apparences qui nous entourent, et les voir différentes, réduites à des lignes mouvantes qui
les décomposent peu à peu, mais qui respectent la forme épurée : voici l’arbre tel qu’en lui-même,
dégrossi grâce aux contraintes que Scève impose aux mots. Mais aussi, au bout du chemin, entrevoir la
joie de la contemplation, où l’âme se défait à l’approche de Délie, son bien, pour renaître multipliée.
Cette expansion des choses infinies , que Baudelaire chantera, Scève l’a suggérée dans les dix petits vers de
son poème, au prix d’une économie prodigue, en supprimant l’inutile pour donner l’essentiel à
pleines mains.”
Précieux exemplaire ayant appartenu à Charles-Augustin Sainte-Beuve (1804-1869).
Le critique et historien de la littérature consacra à Maurice Scève et à la Délie un essai publié dans son
Tableau de la poésie française du XVI e siècle (1828).
Impeccable reliure en maroquin décoré d’Antoine Bauzonnet.
L’exemplaire est grand de marges et très bien conservé (hauteur : 155 mm).
Provenance : Charles-Augustin Sainte-Beuve, avec sa signature autographe sur la garde (cat. I, 1870, nº 311).-
Librairie Lardanchet (cat. n° 60, 1967, n° 219).- Henri Burton, amateur genevois, avec ex-libris.
L’exemplaire est conservé dans une chemise-étui de Maylander.
En français dans le texte, Paris, 1990, nº 46 : “Les dizains de Délie s’attachent à la pureté du vrai et, à nous, d’avoir été longtemps
relégués aux confins, nous sont proches depuis Rimbaud et Mallarmé qui les ont rendus contemporains d’un absolu. La nuit demeure
dans toute sa lumière qui enveloppe cet espoir de nomination de celle par qui monde et homme et langue reprennent vie.”- V.L. Saulnier,
Le Prince de la Renaissance française, Maurice Scève, Paris, 1948-1949.- Françoise Joukovsky, Délie, éd. Garnier, 1996, p. LVII.
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