Lot n° 55

[NERCIAT, André-Robert Andréa de]. Contes saugrenus. Sans lieu ni nom [Allemagne ? Belgique ?], 1799. In-4 de (1) f. de titre, 88 pp. mal chiffrées 87 sans manque, 6 planches hors texte ; basane fauve mouchetée, dos lisse orné de filets dorés,...

Estimation : 20000 / 30000
Adjudication : 34 000 €
Description
pièce de titre de veau brun, tranches mouchetées
(reliure de l’époque).
Édition originale de toute rareté, tirée à petit nombre et illustrée de 6 ravissantes
gravures érotiques hors texte.
Les six grandes aquatintes en médaillon illustrent chacun des contes : Le mouvement de curiosité, Le témoin
ridicule, La petite académicienne, Les amours modernes, Les violateurs, Les folies amoureuses.
Selon Rainer Michael Mason, cité par Vérène de Soultrait dans le catalogue de la bibliothèque de Jean
A. Bonna, ces planches ont sans doute été exécutées par le même artiste qui a illustré les Bigarrures,
recueil de douze récits libertins parus sans lieu ni nom vers 1790, également attribué à Nerciat. Ces
Bigarrures sont ornées de douze gravures, dont cinq sont attribuées dans le catalogue Galitzin à un
certain William C.B., peintre-graveur peut-être anglais, dont l’identité n’a pas encore été percée.
La typographie et l’aspect général de l’ouvrage prouvent qu’il n’a pas été imprimé en France :
ce pourrait être en Allemagne (ce qui expliquerait que deux des sept exemplaires connus soient
conservés à Munich), mais aussi en Belgique (on pense aux impressions liégeoises de Desoer), voire
en Suisse. Impression d’émigration à la date de 1799, quand nombre d’aristocrates français vivaient
encore loin de France ? Pourquoi pas ? Une note au crayon sur la garde indique que le volume aurait
été tiré à dix exemplaires seulement, ce que semble confirmer le petit nombre d’exemplaires connus :
sept en tout – peut-être huit –, dont plusieurs sont incomplets de tout ou partie des gravures.
• Bibliothèque nationale de France : exemplaire en demi-basane du temps, incomplet de 4 gravures
et dont la page de titre est une copie manuscrite, selon Pascal Pia ;
• Bayerische Staatsbibliothek, Munich : exemplaire complet des 6 gravures ;
• Bibliothek der Ludwig Maximilians Universität, Munich : exemplaire incomplet des gravures ;
• British Library : peut-être complet, le catalogue en ligne annonçant “with plates”,
sans plus de précision ;
• Bibliothèque Jean A. Bonna, pour un exemplaire en reliure moderne, incomplet de trois figures ;
• Bibliothèque Gérard Nordmann : exemplaire ayant précédemment appartenu à Michel Simon,
complet des six gravures, en maroquin du temps mais, précise le catalogue, avec des
“feuillets brunis, quelques mouillures et petites taches” ;
• Bibliothèque Pierre Bergé : le présent exemplaire, complet et parfaitement conservé.
A ces sept exemplaires localisés, on peut peut-être ajouter l’exemplaire cité par Cohen : “Curieux
ouvrage que nous n’avons vu décrit nulle part. Dans le seul exemplaire complet (en basane brune) que
nous ayons rencontré, trois des figures étaient en manière de lavis et trois imprimées en couleur.”
En 1789, Sylvain Maréchal publia un recueil de neuf histoires licencieuses et anti cléricales sous le titre
de Contes saugrenus, lesquels n’ont rien à voir avec les six contes parus dix ans plus tard sous ce même
titre. Ces derniers, selon le jugement de Guillaume Apollinaire, “paraissent bien être de Nerciat. (…)
On reconnaît l’auteur de Félicia à de certaines grâces de style qui lui sont particulières et à d’heureux
néologismes”.
La confusion des deux ouvrages parus à dix ans d’intervalle sous le même titre a trompé plusieurs
bibliographes – dont Jules Gay – et se trouve même parfois perpétuée jusqu’à aujourd’hui ; ainsi le très
sérieux catalogue de la Bayerische Staatsbibliothek attribue-t-il encore l’ouvrage paru en 1799
à Sylvain Maréchal…
Pour Guillaume Apollinaire – qui se trompe, lui aussi, sur la date de publication, confondant 1789
et 1799 –, les six Contes saugrenus de Nerciat “ont été écrits d’après les figures qu’ils accompagnent et
ces figures sont fines”. Il n’a cependant pas eu l’édition originale en main et décrit l’ouvrage d’après la
réimpression qui en fut faite en 1890 sous le titre de Contes polissons, ainsi annoncée par son éditeur :
“Cet ouvrage presqu’inconnu des amateurs donne une idée bien exacte des débordements de la haute
société du siècle dernier.”
Échos d’un siècle de libertinage emporté dans la tourmente révolutionnaire, ces six Contes saugrenus
apparaissent comme le testament de l’écrivain des voluptés et de la douceur de vivre : le roide David avait
alors définitivement supplanté le sensuel Boucher, Watteau n’étant déjà plus qu’un souvenir. À la date
de 1799, depuis sa geôle romaine, le chevalier de Nerciat conviait le lecteur à un ultime embarquement
pour Cythère. Lui-même devait disparaître peu après, à Naples.
Très bel exemplaire, en reliure du temps.
Les estampes, conservées à belles marges et sans rousseurs, sont d’un très beau tirage.
Soultrait, Six siècles de littérature française, XVIIIe siècle, [catalogue Jean A. Bonna], nº 34.- Mason in Eros invaincu, nº 57 : à propos
des Bigarrures.- Apollinaire, L’OEuvre du chevalier de Nerciat, 1927, p. 47.- Nordman, catalogue I, 2006, nº 12 : “D’une insigne rareté.”-
Pia, Enfer, 265 : “Cet ouvrage ne doit pas être confondu avec celui qu’on attribue à Sylvain Maréchal et qui porte le même titre. Il est
peut-être l’oeuvre d’Andréa de Nerciat, car il y est question du docteur Cazzoné, dont Nerciat a fait figurer le nom dans le titre de son
Diable au corps.”- Cohen, Guide de l’amateur de livres à gravures du XVIIIe siècle, I, 253.- Dutel, Bibliographie des ouvrages érotiques
publiés clandestinement en français entre 1650 et 1880, nº A-235 : “Édition originale très rare.”- Gay, Bibliographie des ouvrages relatifs
à l’amour, aux femmes et au mariage, I, 717 : le bibliographe ignore l’ouvrage qu’il confond avec celui de Sylvain Maréchal.
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