Description
l'encre noire, bleue ou
violette, parfois au crayon. Les lettres sont pour l'essentiel accompagnées d'une transcription
dactylographiée ; le tout est conservé dans un emboîtage en demi-maroquin lavallière, dos à nerfs.
Remarquable correspondance littéraire et personnelle, en partie inédite.
Ces lettres intimes, parfois douloureuses, souvent poignantes, s'échelonnent de 1925, année qui
marque les débuts de l'amitié entre les deux écrivains, à 1933, soit moins de deux ans avant le
suicide de Crevel à l'âge de 35 ans.
L'auteur de Mon corps et moi et de Babylone se livre ici sans retenue, révélant au cours de cette
correspondance, plus affective que littéraire, les différentes facettes d'une personnalité complexe :
sentimentale, violente, contradictoire, toujours attachante...
Tout Crevel est là : l'ami, le confident, l'amant, le grand amoureux, le mondain, le poitrinaire, le
désespéré, le suicidaire, le sensuel, l'homme de désir, l'archange noir du surréalisme – “né révolté
comme d'autres naissent avec les yeux bleus”, selon le mot de Philippe Soupault –, le communiste
pourfendeur de bourgeois – “saintement irréligieux, généreusement satirique, tendrement violent”
(Jean Cassou) –, l'écrivain, enfin, tout en zigzags, ricochets, explosions, styliste ennemi du “beau
style”, ironique, irrespectueux, sérieux et triste comme un enfant qui joue à la guerre, pressé
comme tous ceux dont la vie est une course contre la montre.
Les premiers pas de la correspondance sont littéraires, Crevel cherchant l’approbation de son aîné.
Ainsi lui écrit-il à la fin de l’année 1925 :
... n'est-il pas indiscret à moi de vous demander ce que vous pensez de mon travail de cet été, et surtout si
vous croyez que le scandale qui en peut naître peut nuire à celui que vous savez et qui renaissait à chaque
ligne (...). J'ai peur de ce livre que Soupault aime [La Mort difficile], mais qu'il trouve je crois
scandaleux. J'aime la franchise, je déteste le scandale.
Jouhandeau lui répond :
Cher René, j'ai lu 'La Mort difficile', beau titre, beau livre. Scandale sans aucun doute, mais avec
l'assentiment de M.C. [Mac Cown] vous n'avez rien à craindre. S'il accepte d'être livré. On ne peut faire
de lui portrait plus vrai, plus flatteur. J'en ferai peut-être la réplique un jour ... Homogénéité admirable
dans le ton. Peut-être quelques longueurs complaisantes au début.
Très vite les lettres deviennent plus intimes : torturées et convulsives chez Crevel, dont la révolte
se radicalise après la mort de sa mère et avec les progrès de la maladie :
Maintenant après des crises de nerfs à Toulon, une heure d'amour avec un marin de 20 ans, boucher à Cette,
qui m'a quitté en me donnant l'évangile selon Saint Jean, je suis avec Eugène [Mac Cown] (gentil, mais
de plus en plus mystérieux), au sommet d'une colline. Je travaille, je pense à toi... [non datée, 1926, de
Cagnes].
Je suis à moitié pourri. Je suis du boudin fait avec du sang de mauvaise qualité, et les montagnes genre faux
Gréco qui m'entourent sont diantrement plus fortes que moi. Je ne te tuerai pas, car si j'avais quelqu'un
à tuer, avec mon égoïsme bien connu c'est par moi que je commencerai. Eugène [Mac Cown], c'est la
vengeance qui me fut envoyée par tous ceux à qui j'ai fait du mal. C'est pourquoi je l'aime...
[non datée, 1926].
Eugène [Mac Cown] et avec lui pas mal de ces diables d' Américains ont une innocence. Nous on a la
force - toi surtout, mais comme on a la conscience - hélas - aussi, ça explose. Alors on trépigne, on hurle,
on crie (...). Maintenant on nous donne des livres inodores. As-tu lu Mont-Cinère genre (pas si bien) de
Wuthering Heights d'Emily Brontë... [non datée, non signée, 1926].
Je relis Rousseau. Quels mensonges que les Confessions. Je n 'aime pas ce masturbé. Le Juif de T urin, le
curé de Lyon, la Warens, tous ceux qu'il a excités qu'ont-ils trouvé dans ce fourbe aux mains moites. Et je
gage que l'histoire des 5 enfants abandonnés c'est du mensonge. Rousseau c'est un bronze de Barbedienne.
Il s'appelle Jean-Jacques comme les femmes qui mettent de la lingerie exagérément blanche pour se faire
croire innocentes. Pouah ! J'ai les 2 poumons endommagés. Il y a un trou - une caverne disent les poétiques
médecins... [non datée, été 1927, du Parksanatorium de Davos Platz, en Suisse].
Jouhandeau répond, le plus souvent, avec les accents de l’ascète qu’il affecte de devenir – la
tendresse en plus :
René, je pense à toi. Le 'mot' que tu m'as adressé tout de suite m'a caressé au bon moment. On a peur tout
d'un coup. Je suis arrivé ici comme un fantôme. La santé, qu'est-ce que c'est ? Je ne dors pas, mais je travaille
et je peux rester seul des jours entiers. La nuit je me lève à trois heures pour faire de l'orgue. C'est comme si je
me jetais à la mer. Ça bourdonne. On nage. On n'entend plus rien. On voit du bleu, de l'or , toi, d'autres. Ton
ami Marcel. (...)
Parle-moi de toi. Un ange me dit que tu ne m'aimes plus comme autrefois. Si c'est vrai, dis-le moi.
Crache-moi au visage, si je le mérite [non datée, 1929].
L’une des dernières lettres de l’ensemble, adressée par Crevel à Élise en 1933, est poignante :
... Le docteur est content de moi. Mais je reste toujours au lit. J'ai joué ma dernière carte en venant ici. Il
faut que je gagne la santé. Sinon, rien ne vaut plus la peine. Si je guéris, il me semble que je renaîtrai pour
une autre vie. J'ignore laquelle. J'ignore avec qui (...) Je rêve d'un grand et beau livre. Je ne sais par quel
bout le prendre et puis je commence à devenir exigeant avec moi-même et je ne veux rien faire plutôt que
faire médiocre (...). C'est comme si j'étais en gestation. La maladie c'est le ventre d'une mère pour moi...
Plusieurs acteurs de la vie littéraire et artistique parisienne traversent cette correspondance
fiévreuse : Nancy Cunard, Marie Laurencin, Paul Klee, André Gide, Philippe Soupault, Natalie
Barney, Romaine Brooks... Le personnage évoqué sous le prénom d'Eugène, omniprésent, est le
peintre américain Eugene Mac Cown, grande passion de René Crevel (il est représenté sous les
traits de Bruggle dans La Mort difficile). Les quelques lettres adressées à Carya dès 1926, une quinzaine
en tout, témoignent de l'affection de Crevel pour la future Élise Jouhandeau, que l'auteur des
Pincengrain épousa en 1929 à l'âge de 40 ans. Crevel et Cocteau furent les témoins de Marcel.
Une note manuscrite (de Marcel Jouhandeau ?) jointe à cet ensemble précise : “À partir de 1930,
les lettres de Crevel ne sont plus adressées à Marcel, mais à Marcel et Élise. Ce qui explique
l'interruption de la correspondance.” En effet, ce dossier ne comporte aucune lettre de 1931 et 1932,
et seulement trois lettres de 1933, dont deux adressées au couple Jouhandeau et une à la seule Carya. Quelques lettres de Crevel à Jouhandeau – quatorze exactement – ont été publiées par Michel
Carassou et Jean-Claude Zylberstein en appendice à l'édition de La Mort difficile donnée en 1974 par
Jean-Jacques Pauvert avec une préface de Salvador Dalí. Elles étaient suivies de cette note : “Nous
remercions M. Marcel Jouhandeau qui nous a autorisés à reproduire les lettres de René Crevel,
dont une copie est déposée au fonds Jouhandeau de la Bibliothèque littéraire J. Doucet. Cette
correspondance devait se poursuivre jusqu'à la mort de René Crevel.”
D'autres encore, plus nombreuses, ont trouvé place dans : René Crevel, Lettres de désir et de souffrance ,
choisies par Éric Le Bouvier, préface de Julien Green (Paris, Fayard, 1996).
On a joint à cet ensemble :
une carte de visite de “René Crevel, Secrétaire de la Rédaction du Journal Les Nouvelles
Littéraires, Artistiques et Scientifiques” ;
une lettre autographe signée de Jacques-Émile Blanche à Crevel, le remerciant de l'envoi
d'un livre (28 mai 1930, 2 pages) ;
un superbe portrait photographique de Crevel en noeud papillon (cachet du photographe
Jean Roubier au verso de l'épreuve).
“René Crevel n'avait pas tous les défauts, mais il avait toutes les qualités. Même la beauté” (Paul Éluard).