Lot n° 190

Lucien REBATET (1903-1972). L.A.S., [prison de Clairvaux (Aube)] 29 février 1952, à Roger Nimier, rédacteur en chef d’Opéra ; 4 pages in-4, enveloppe.

Estimation : 500 / 600
Adjudication : 1950 €
Description
Longue lettre clandestine du prisonnier, à propos des Deux Étendards. « C’est Lucien Rebatet, le bagnard, qui vous écrit »... Lecteur assidu d’Opéra, il a suivi avec admiration le succès croissant de l’hebdomadaire, et le « mélomane, qui n’a pas entendu une note depuis sept ans », distingue en particulier la page musicale. Il savait par Fraigneau qu’il y aurait quelque chose sur son livre : « je ne souhaitais que l’objectivité, avec un brin de sympathie, si possible... Votre chaleur, votre insistance, votre rapidité […] ont été pour moi de magnifiques surprises. Vous avez été réellement fraternels. [...] J’ai tout particulièrement été sensible, dans votre article, à ce que vous dites sur le mélange d’érotisme très cru et de tendresse dans Les Deux Étendards. Vous avez admirablement compris ce que j’ai tant voulu faire là, et vous m’avez procuré l’agréable sentiment que j’avais à peu près réussi »... Il relève aussi l’article sur la pièce du « vieux, prodigieux et riche Marcel Aymé » [La Tête des autres, créée le 17 février 1952 au Théâtre de l’Atelier] : « Vous imaginez la saveur de ça, dégusté dans le lieu où nous sommes. Pour ma part, je l’ai bien fait lire à une vingtaine de taulards radieux (et j’espère qu’il ne vous déplaira pas de savoir que quelques-uns de ces vingt-là sont d’authentiques truands ; j’avoue être dans les meilleurs termes avec certains truands, qui sont des personnages charmants et sûrs, la plus grande et la plus rare des qualités dans notre monde de bagnards). [...] votre article est déjà, lui-même, tellement vengeur, et d’un jet ! »... Après une digression flatteuse sur Le Hussard bleu de Nimier, il en vient aux « Kemp et consorts », et au silence de la critique : « en lisant vos papiers, je me suis dit : “C’est gagné ; après ça, les salopards ne pourront plus se taire”. Or, je constate que les salopards, et les autres, se taisent. […] Il est pour moi réconfortant et de très bon augure d’être apprécié de jeunes écrivains tels que vous et honni d’académiciens. Mais j’espérais que les académiciens me vilipenderaient à haute voix. Or, il semble bien que l’ensemble de la presse soit en train de me jouer le plus sale tour possible : m’ignorer, par trouille, par haine ou par système »... Sans avoir fait de concession au lecteur, il constate que « cet énorme bouquin » a un public, malgré la « conjuration » : « Plus j’y réfléchis, derrière mes murs, plus je pense que c’est l’auteur réprouvé qu’on se refuse à réintroduire dans le cercle de la littérature. [...] pourriez-vous me faire la grande amitié de le dire, dans votre journal, si cela devient réellement nécessaire, s’il apparaît bien que l’on veut me condamner à mort une seconde fois, m’enterrer sous cent tonnes d’un silence infiniment plus pesant que la terre sur les carcasses des fusillés de Montrouge ? En somme, obliger un certain nombre de cafards, cloportes et autres, à sortir de leur trou. [...] Cette lettre est clandestine [...]. C’est dangereux pour moi, pour ceux qui veulent bien m’aider. Je n’ai donc pas besoin de vous demander de ne faire aucune allusion publique à ces lignes, ce serait faire dégringoler sur mon dos – et sur d’autres – les plus effroyables punitions »... Il note en post-scriptum les réactions positives de Galtier-Boissière, Henri Jeanson et Mac Orlan. Selon sa femme, Gallimard aussi est convaincu qu’il existe une conspiration du silence ; ainsi dans La Table Ronde. Quant à Robert Kemp : « Il fallait évidemment une victoire de type 45 pour amener au rang des pontifes un cuistre aussi poussiéreux. Je n’ai pas encore pu voir mon livre »... Reproduit page précédente
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