Lot n° 211

George SAND (1804-186). L.A.S., Nohant 6 décembre [1844], à Louis Blanc ; 4 pages petit in-4 à son chiffre, très remplies d’une petite écriture (légères fentes réparées).

Estimation : 1000 / 2000
Adjudication : 1600 €
Description
Très belle et longue lettre relative à la publication du Meunier d’Angibault, refusé par Le Constitutionnel, et offert à La Réforme (le traité sera signé le 17 décembre ; Sand recevant 6 000 francs comptants et 2 000 à terme). Louis Blanc avait demandé à Sand des feuilletons pour La Réforme, indiquant que ce journal était pauvre. « Hélas ! je n’ai pas de loisirs, je plie sous le fardeau de dettes et d’embarras énormes que j’ai acceptés parce qu’il y avait devoir personnel pour moi à le faire. Ce sont affaires de conscience, d’amitié et de famille, réunies, qui n’intéressent que moi et dont je ne vous fatiguerai pas. Mais vous me croirez, j’espère, si je vous dis que je n’aime pas l’argent, bien que je sois forcée d’en avoir besoin. […] Malgré tout cela je ferai même l’impossible pour la Réforme ; je le crois et je l’espère parce que je le veux, parce que la Réforme est le seul journal qui m’intéresse vivement et dont j’espère de grands biens pour la cause démocratique »... Elle explique qu’elle avait signé un traité avec Louis Véron « pour un certain nombre de volumes moyennant une somme considérable. Au second roman présenté à Mr Véron, mes tendances qu’il appelle communistes lui firent tant de peur, qu’il me chercha chicane, puis reconnut qu’il n’avait pas de droits sur ma pensée, et, après un échange de lettres où sa déloyauté finit par s’entourer de formes loyales, il me fit des offres d’argent pour m’engager à modifier nos traités, c’est-à-dire mes opinions. Je refusai l’un et l’autre, c’est-à-dire que je lui offris de rompre purement et simplement nos traités, ce qu’il accepta avec joie et reconnaissance, la popularité de mon succès n’étant pas en rapport avec le prix qu’il avait cru devoir y mettre. Il régla lui-même une indemnité pour le roman qu’il avait refusé, et je n’en acceptai pas pour ceux que j’aurais dû lui fournir plus tard. Je suis donc délivrée du Constitutionnel à ma grande satisfaction et je rentre dans la propriété d’un roman en 2 volumes, 24 longs feuilletons qui pourraient être coupés en 30 feuilletons suffisants ». Elle a chargé Hetzel de le placer, et a reçu une offre du National ; mais elle craint que le succès de son roman n’enlève alors des abonnés à La Réforme : « L’abonné est une bête frivole, l’abonné de province un démocrate assez borné, entre nous soit dit, qui ne fait pas toujours la distinction, pourtant si claire, d’une nuance démocratique à une autre. Il est démocrate, il veut un journal démocratique, il en existe deux. Il voit annoncer un roman qui l’ennuyera peut-être, mais dont il imagine qu’il pourra s’amuser, et il quitte le meilleur des deux journaux. Voilà ce dont je ne voudrais pas être cause »… Elle prie donc Louis Blanc de consulter le comité de La Réforme : « voyez s’il lui peut paraître avantageux d’acheter mon roman. Les nécessités fort sérieuses quoique bizarres de ma situation momentanée, me forcent d’aboutir à ce vilain mot d’acheter. J’ai emprunté à des amis pauvres pour sauver des amis plus pauvres. J’ai découvert St Pierre pour couvrir St Paul; et je ne puis pas ne pas payer des dettes sacrées. Je n’ai pas d’amis riches, pas un seul ! Les riches me haïssent. Ce peu de billets de banque dont j’ai absolument besoin est beaucoup pour ceux qui me les ont avancés, et je ne les ai pas. Pourtant à la rigueur, je peux sacrifier mille francs, deux mille francs peut-être pour faciliter l’acquisition de mon roman à la Réforme. […] Tout cela posé, je dois vous dire que mon roman ne vaut pas l’argent qu’on m’en offre, et pas même celui que je suis forcée d’en demander. Le roman est devenu une denrée de mode, exhorbitante, scandaleuse. La nécessité de ne pouvoir faire un peu de bien, qu’à la condition de vivre dans tout ce mal, est une des contradictions de notre vie présente, qui explique assez le spleen dont les rêveurs et les gens de bonne intention sont accablés en attendant des jours moins laids ». Elle demande le secret, et annonce son arrivée samedi à Paris : « Veuillez faire que je trouve une réponse de vous entre les mains de Mr Chopin qui est à Paris cour d’Orléans nº 9, rue St Lazare. Une heure après mon arrivée, je suis bien sûre qu’Hetzel sera chez moi et me pressera de me prononcer ». Elle ajoute : « J’ai achevé votre livre [Histoire de dix ans], c’est un chef-d’œuvre ». Correspondance, t. XXV, S 305.
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