Lot n° 65

Afrique. Manuscrit autographe intitulé : « Relation de la côte d’Affrique et des différentes sortes de nations qui l’habitent, de leurs religions, de leur négoce et de ce qui ycroit ». Et sur le côté : « Relation de la Côte de Guinée...

Estimation : 2000 / 3000
Adjudication : Invendu
Description
». 4 pp. in-folio d'une écriture dense. [Fort d'Amsterdam dit de Cormantin, côte de Guinée, ancienne Côte de l'Or, 1769j. Exceptionnelle relation d'Afrique. Ecrite sous forme de rapport. Il s'agit de la première lettre qu'il écrit à ses parents depuis huit ans qu'il est installé sur les côtes de Guinée, comme il l'indique en fin : « Depuy l'année 1762, je ne vous ay point ecript [^j ». Récit du voyage du navire se rendant au fort de Saint-George d'Elmina, résidence de la Compagnie néerlandaise des Indes occidentales, qui y organise son commerce, en particulier d'esclaves. Il passe en revue les différents forts de la côte jusqu'au « Benain où les navires qui y font négoce y traittent beaucoup de captifs », compare le commerce anglais à celui des Hollandais « beaucoup plus florissant », la météorologie des lieux, les cultures. « Les nègres ne cultivent rien sy ce n'est du bled d'Espagne et du vin de palmier, tout le reste vient de Dieu et de grâces. Ils sèment ce bled au mois de may et le cueillent au mois d'aoust [^j. Le vin de palmier est la seule boisson qu'on aye dans ce paÿs, c'est un arbre qui vient comme un sapin. Son bois casse comme le figuier ». Il explique comment confectionner des infusions à partir « de jettons qui sortent de terre auprès du gros pied » et on y attache un pot « pour recevoir la liqueur qui est douce comme du vin nouveau ». « Les bananes et les figues y sont fort communs, des papeys c'est comme des melons à peu près, des goyaves et quantité d'autres sortes de fruits dont il ne m'est pas possible de vous en donner une idée juste ne ressemblant pas à ceux d'Europe ; on appelle aussy cette côte, la côte de Guynée, je vous ay déjà donné une idée de sa grandeur, je vais vous parler à présent de son négoce ». Suit alors un long développement sur les animaux sauvages, et le commerce de la gomme, du coton, des « dents d'éléphans », l'or en poudre, les peaux de tigres, les « captifs », etc. « Il y a aussy des bœufs sauvages et des chevaux sauvages mais ils se retirent sy en avant dans les terres que les Blancs n'en peuvent guère voir car il est bon de vous dire qu'aucun blanc ne peut pas s'éloigner plus de 4 à 5 lieues du bord de la mer, les Noirs ne leur donneroyent pas passage et même les dépouilleroyent et pilleroyent tout. Les Blancs sont maîtres dans leurs forteresses mais pas dehors [^j ». Il s'attarde ensuite à décrire le fonctionnement de la Compagnie dont il est employé et son propre sort : sur 40 hommes arrivés avec lui en mai 1761 sur la côte d'Afrique, ils ne sont plus que 5 : 5 sont retournés en Europe et 30 sont morts. Puis, les étranges coutumes des populations locales, en particulier l'anthropophagie. « La religion des Nègres a quelques rapports à l'ancienne loy ; lorsqu'un gros vient à mourir, on tranche la tête à 10 ou 20 captifs qui sont sacrifiez pour le mort. Lorsqu'on l'enterre, on met la tête des esclaves dans la fosse, 2 à la tête et 2 au pied et on pose le cercueil là dessus. Les corps sont coupés par pièces et par morceaux et partagés entre les parants du deffunt, qui les cuisent avec d'autres viandes pour faire le festin ; ils en remplissent aussy de grands plats qu'ils vont exposer au milieu de trois ou quatre chemins. Les anciens l'offroyent à Dieu mais eux le donnent pour le Diable [^j ». Il raconte les guerres tribales, la manière dont ils se préparent pour le combat, avec des armes à feu et des armes blanches. « Lorsqu'ils peuvent surprendre l'ennemy pour piller les femmes et les enfants pour captifs et mettre le feu dans le village, pour lors la victoire est remportée. Les fusils qu'ils portent sont fort inutiles car bien souvent ils les jettent pour mieux se sauver ». Il raconte la coutume du mariage, leurs habitats « qui ne sont autre chose que des murs de terre couverts de paille sans avoir aucun meubles que des nattes pour coucher dessus, car il y a des Nègres qui sont riches comme des Juifs, en or en poudre, en captifs, et sont mal vêtus ». Les rites particuliers de justice où les riches condamnés font subir leur peine à leurs captifs. « Un homme captif coût 500 livres et une femme 400 ; un Blanc qui achète une captive et qui lui fait un enfant, elle devient franche, mais ces dames sont sy brunes qu'il y a très peu de Blancs qui s'y amusent ; une personne qui pense bien ne les achète que pour servir ou pour revendre ». Il raconte ses péripéties, coincé trois jours sur un navire de Dunkerque, sa barque s'étant retournée. Il va faire parvenir de l'argent à sa famille en France en vendant « 5 ou 6 beaux captifs dont la plupart entendent très bien le français ». Il évoque aussi sa vie au quotidien. « Les gens qui n'aiment pas la solitude ne sont pas bien dans ce pays, icy la mélancolie et le chagrin sont la cause qu'il meurt icy beaucoup de monde. Les vivres ne sont pas égales à ceux d'Europe, il est fort difficile de s'y accoutumer : imaginez vous s'il y a beaucoup de plaisir d'estre dans un village avec 10 ou 12 blancs et un cent plus ou moins de captifs, depuis le matin jusqu'au soir rester dans des magasins d'où on tire des marchandises pour embarquer et d'autres qu'on débarquent, de quel côté on se tourne on ne voit que des bois et des bruyères, il n'y a icy qu'autre satisfaction que celle d'y faire un peu de bourse et d'y bien vivre [^j ».
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