Lot n° 216

Marcel JOUHANDEAU (1888-1979). Manuscrit autographe, Tout ou rien, [1967 ?] ; 102 pages sur 56 feuillets in-8 de classeur à petits carreaux, en feuilles sous chemise demi-maroquin vert, titre doré, étui.

Estimation : 700 / 800
Adjudication : Invendu
Description
Manuscrit de travail de cette pièce radiophonique diffusée sur France-Culture en 1967, puis publiée en ouverture du n° 1 de La Nouvelle Table Ronde (mai 1970, exemplaire joint, sous l’emboîtage), puis en édition originale, avec deux autres pièces pour la radio, la même année, chez Gallimard (collection « Le Manteau d’Arlequin »).{CR}Dans le milieu provincial et ouvrier de Chaminadour (le Guéret de Jouhandeau), une ancienne et très brève passion charnelle révélée par malveillance se termine en tragédie. Marie et Serge Pingaud vivent depuis vingt ans dans une harmonie conjugale sans faille quoiqu’un peu monotone. Marie a une confidente, Jeanne Desmoulin, une veuve dont le mari toujours passionnément aimé d’elle quoique disparu, David, avait péri quinze ans auparavant dans un accident. Cet époux volage était en outre le meilleur ami de l’austère Serge. Mais voilà que ce bonheur sans histoire se trouve ébranlé par une discussion malveillante entre hommes au café. On veut se venger de Serge, obsessionnel contempteur des maris trompés et des trop faibles femmes. On lui révèle que son ami David, coureur invétéré, était parvenu à séduire sa femme quelques jours seulement avant sa mort. Serge, hors de lui, fait avouer le crime à Marie, la bat et l’humilie devant sa mère et les femmes du voisinage. Mais Marie revendique crânement et publiquement ce très bref écart de conduite, instant d’amour qui, dit-elle, aura éclairé et justifié toute sa vie. Serge, se considérant comme déshonoré, prononce sa sentence : que Marie l’étrangle ! Ce qu’elle fait, avant de se livrer à la police.{CR}Cette tragédie en trois actes ou épisodes permet à Jouhandeau d’exprimer la vision quasi mystique de l’amour physique à laquelle il tient. Cette conception apparaît par exemple dans cet extrait d’un monologue de Marie, texte déjà travaillé dans notre manuscrit, mais qui sera totalement refondu dans la version de la revue : « En somme, si je n’avais pas connu David, je n’aurais pas connu ce je ne sais quoi qui donne un sens à la vie. Qu’est-ce que c’est ? La passion, la possession d’un souvenir ineffaçable. David ! Il n’a fait que passer dans mes bras, mais grâce à lui, je ne suis plus seule quand je suis seule ; je suis moins seule, même entre les bras de Serge. Comment regretter cette sorte d’effacement de tout au bénéfice d’un être radieux, illuminé dont une fois pour toutes le corps a couvert le vôtre et satisfait en un instant l’âme toute entière comme si, le ciel entrouvert, on avait connu ensemble le paradis... » (Acte III, scène1).{CR}Le manuscrit présente de nombreuses ratures et corrections. Il est conservé sous une chemise titrée par Jouhandeau, avec liste des personnages et le synopsis original. Les 78 pages du manuscrit se répartissent en trois séries de feuillets (42 en tout, sans compter la chemise de titre) paginés par Jouhandeau au crayon rouge de façon discontinue, selon les états différents du texte : certains sont très corrigés et leurs variantes lisibles révèlent une version primitive déjà travaillée mais qui sera développée encore, les autres mis au net avec quelques repentirs ou ajouts. Malgré cette relative hétérogénéité, la pièce peut se lire aisément dans sa continuité manuscrite, mis à part deux courts passages intercalés en typographie à leur place. 24 autres pages (13 feuillets) sont rassemblées dans un dossier de brouillons. Écrites de différentes encres, d’une graphie tantôt appliquée, tantôt très hâtive, elles présentent des versions différentes de certaines scènes, avec de significatifs ajouts ou repentirs. Le manuscrit présente d’importantes variantes avec le texte définitif, notamment des termes trop crus qui ont été atténués. Le mari jaloux change de nom au cours de la rédaction. Des phrases entières disparaîtront dans des remaniements ultérieurs, comme cette longue didascalie : « Alors, Marie se redressant de toute sa taille et levant la tête, son regard fixé hardiment dans les yeux de Serge se mit à parler d’une voix claire, presque triomphale, comme accompagnée de grandes orgues. » Même sort pour le surtitre générique inscrit par Jouhandeau sur la page de titre : Comédies et Proverbes, et pour sa note pourtant significative au bas de la même page : « “Tout ou rien” était la devise de Ste Thérèse d’Avila ». Cet ensemble apporte de précieux éléments sur la genèse de la pièce. D’après le synopsis initial, on constate que deux scènes capitales [troisième monologue de Marie et aveu public], non prévues au départ, sont ajoutées sur le manuscrit, qui intègre en revanche une scène qui sera supprimée dans la publication (Acte I, scène 4 : duo d’amour entre Marie et Serge, 2 pages).
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