Description
3 carnets de 51 pages in-12, 24 pages petit in-4 et 29 pages in-12, couvertures de moleskine noire..
Carnets de voyages en Italie.. Rédigés d’un seul jet, les journaux de Rod ne comportent que peu de ratures. L’auteur y confie presque quotidiennement ses impressions, décrit ses découvertes, retranscrit des anecdotes et conversations.
Ces notes de voyage témoignent du climat littéraire, politique et social de l’Italie du début du XXe siècle. Devancé par sa renommée, qui lui ouvre de nombreuses portes, Rod est fêté et chaleureusement accueilli à chacun de ses déplacements ; ses voyages sont l’occasion de rencontrer des personnalités importantes, nombre d’écrivains, artistes et critiques.
Quelques visites inspireront ses futurs écrits. Nous n’en donnerons ici que quelques extraits.. Janvier 1905. Rod est en déplacement officiel à Rome, à l’occasion d’une réception en son honneur à laquelle participent les plus grands noms de la littérature italienne. Les premières notes sont écrites à Turin, le 2 janvier, où il dîne en compagnie de l’écrivain et sociologue Guglielmo Ferrera avec lequel il échange entre autres sur l’art :
« Il soutient la supériorité des artistes modernes sur ceux que la tradition a consacrés. Je lui réponds qu’en effet, l’outil, la technique se sont améliorés, mais que ce n’est pas la perfection de l’outil qui fait celle de l’ouvrier, ni la perfection de la technique qui fait celle de l’œuvre ». Son interlocuteur, peu convaincu, maintient sa thèse :
« C’est un destructeur. Le passé n’est pour lui qu’un obstacle à l’œuvre de l’avenir. Il l’empêche au lieu de le préparer »... à Rome le 5 janvier, il retrouve la comtesse Caetani Lovatelli et son salon littéraire, fréquenté par quelques personnalités romaines.
Le 6, visite des monuments et églises de la ville, notamment San Francesco a Ripa, où il a été marqué par le monument Beata Ludovica Albertoni par Le Bernin, « admirable expression de volupté pâmée, gâtée seulement par l’excès des draperies. Et pourtant, B. sait être sévère. Il l’est souvent dans ses bustes », leur conférant un « certain caractère décoratif. Ce caractère me déplaisait autrefois. Je le comprends très bien aujourd’hui : il indique, après tout, une vue très juste de la vie et de sa complexité [...]. C’est en opposition à leur sentiment méditatif, intime, enfermé, la libre expression de la vie, qui veut affirmer sa forme. C’est puissant et magnifique »... Il va le soir à une représentation de Cavalleria rusticana au Théâtre Quirino. Le 8, il assiste à Saint-Pierre à une cérémonie en grande pompe dont il détaille la mise en scène et les costumes... Puis, soirée chez la comtesse Lovatelli, en compagnie de la « belle figure de Visconti-Venosta [politique et diplomate], avec sa haute taille robuste, sa barbe d’argent, ses cheveux blancs, il est solennel et parle lentement »...
Le 9, il est introduit au Vatican, où un prêtre lui fait la visite. Le lendemain, il reçoit la visite de son ami l’historien Edouardo Soderini, « qui m’a entretenu du programme et des aspirations de la démocratie chrétienne. Tout pour le peuple et par le peuple – l’instruire, faire son éducation morale et civique, pour le rendre apte à se gouverner »... Visite à la femme de lettres Grazia Deledda, « petite femme avec ses beaux yeux et sa figure si expressive, [...] d’une simplicité parfaite, et j’aime ce talent qui [...] parle avec naturel »... Puis il est reçu au Vatican par le cardinal Merry de Val, avec lequel il s’entretient longuement...
Le 12 janvier, déjeuner chez Piperno en compagnie de Sibilla Aleramo, Giovanni Cena et le poète Cesare Pascarella ; discussions littéraires...
Le 13, une audience privée avec le Pape confirme ses premières impressions : « Vue de près, la figure du Pape n’a point la beauté que lui prêtent certains de ses portraits : les traits sont lourds, le visage haut en couleur, le nez strié de veines rouges. Il a pourtant de la majesté »... L’audience a duré trente minutes, « quelques paroles de politesse et de bénédiction, aussi dites avec beaucoup de simplicité, de joie et de bonté »...
Le 14 au soir, soirée en son honneur à l’Ambassade de France... Les jours qui suivent sont encore l’occasion de parcourir Rome et ses alentours, et de rencontrer quelques personnalités – le critique littéraire Carlo Segrè, le cardinal Rampolla del Tindaro, le criminologue Enrico Ferri... [Les notes s’arrêtent le 20 janvier, pour reprendre le récit rétrospectivement, le 27, lors de son retour à Paris.]. Novembre 1905-janvier 1906. En compagnie de sa fille Marie, Rod voyage de Turin à Palerme, en passant par Vicence, Ravenne, Florence, Rome et Catane, et donne quelques conférences.
Le carnet s’ouvre le 28 novembre, alors que Rod parcourt Turin depuis trois jours. La visite de l’atelier du sculpteur Pietro Canonica lui a fait grande impression, notamment la façon dont ce dernier parle de son art, avec « des mots heureux pour montrer le fruit de son travail, pour souligner le rapport de l’exécution et du caractère, et suivre sur le marbre les petites lignes, les imperceptibles vibrations qui dégagent la vie et montrent l’âme. Il a expliqué avec une surprenante clarté la toute petite chose, l’insaisissable différence qui fait qu’une œuvre devient un chef d’œuvre, qu’elle ne serait pas sans ce rien. Il me l’a fait comprendre en me montrant un de ses portraits, où la tête légèrement avancée dans une sorte de tic prend une expression interne qui révèle tout l’être »...
L’artiste l’a ensuite accompagné à la Résidence royale de Stupinigi, où l’accueille la Reine Marguerite pour une conférence. à Vicence, le 2 décembre, Rod est reçu par Antonio Fogazzaro, avec lequel il parle longuement des polémiques autour de sa dernière publication, Il Santo : « Évidemment, ses préférences sont pour Léon XIII. Il m’a dit : Léon XIII était un grand capitaine, qui pouvait se tromper et perdre des batailles.
Pie X est un homme habile, qui conduit bien sa voiture dans un chemin difficile »... Rod découvre un auteur « satisfait de son livre et des discussions qu’il soulève, sans inquiétude sur la condamnation dont on l’a menacé, et qui l’aurait affligé ; très sincèrement croyant, attaché à l’Église »... 5-6 décembre, la visite de Ravenne (« Ravenne est un tombeau magnifique ») l’inspire pour un prochain roman : « Ce serait la 1ère idée à développer dans L’Ombre. [...].
Elle inspire l’apaisement : la pénitence d’Othon III, les dernières années de Dante, la fin de Galla Placidia [...].
Parmi tant de choses nouvelles, étranges que j’aurai vues, c’est le mausolée à Galla Placidia qui laisse la plus forte impression : surtout au moment où l’on passe du grand jour à ce jour tamisé, à cette demi-obscurité qu’éclairent les bleues lumières des mosaïques. Il y a là comme une atmosphère différente et comme une lumière d’autre sorte, que ferait l’éclat de toutes ces petites pierres »...
Le 14 décembre, à Florence, il rencontre D’Annunzio chez l’artiste Domenico Trentacoste, qui « parle admirablement, avec de belles phrases expressives et des mots propres et colorés qui lui viennent sans effort »... Les jours suivants, Rod séjourne à Rome, dont il découvre de nouvelles églises.
Le 19, l’archéologue Giacomo Boni l’accompagne sur le Forum et lui présente ses dernières fouilles...
Le 24, départ pour la Sicile en traversant la Calabre, encore éprouvée par le tremblement de terre du 8 septembre – et c’est de Catane, le 25 décembre, qu’il commente la fin de son séjour romain, notamment une entrevue le 22 avec le cardinal Merry del Val qui lui a fait part de son point de vue et de celui de l’Église sur les rapports futurs avec la France, alors que vient d’être signée la loi de séparation de l’Église et de l’État : « Je crois que le Vatican désire la paix »...
Le 28, visite de Taormina, qu’il songe un instant à associer à son roman : « C’est très beau, très grand décor, ce n’est pas sympathique. C’est un théâtre, un lieu d’où l’on admire, pas où l’on voudrait vivre. Cela ne conviendrait pas à L’Ombre s’étend : mieux mille fois vaut Ravenne »...
Départ pour Palerme le 29, où il passe les fêtes de fin d’année, notamment chez le Prince et la Princesse de Trabia, le Prince de Scalia et le comte Mazzarino, prestigieuses familles de la noblesse palermitaine...
Puis, retour à Rome début janvier 1906.. Avril 1906. Rod se rend à Ravenne pour y recueillir quelques motifs destinés à son roman L’Ombre s’étend sur la montagne.
Le carnet débute le 22, avec la visite du mausolée de Théodoric, de la basilique Saint-Apollinaire in Classe et de la Pinède. Les longues descriptions des trajets, des ambiances, des paysages, des tableaux qui s’offrent à lui se font encore plus précises et détaillées, laissant déjà paraître leur visée littéraire : « Le ciel est à peine doré, comme poudré d’une poussière légère et peu colorée. L’Orient est noyé d’ombre [...]. Une grande cheminée sort des arbres. Un groupe de soldats boit dans une guinguette. Les bruits assourdis du dimanche troublent le silence habituel. [...] La basilique, dont s’écroulent certaines parties qu’il faut soutenir, dont l’eau envahit les fondements, dresse ses formes un peu barbares au milieu des terres, de la boue, des rivières, des prairies »... Rod retranscrit également quelques inscriptions latines lues sur les monuments et complète son observation par de longues notes de lectures ou extraits de livres sur l’histoire de Ravenne et ses monuments. Il se fait conduire dans les alentours de la ville : Madonna dell’Albero, la Colonna dei Francesi au bord du Ronco....
Le 24, il se rend à la fattoria de Mandriole, un quartier de Ravenne, où est décédée Anita Garibaldi : « L’établissement s’est élargi depuis ce temps-là. Un haut bâtiment neuf s’est ajouté. La maison est propre, bien tenue, presque confortable »...
Le 26, visites de plusieurs palais et de l’église Santa Maria in Porto Fuori : « La solitude est plus complète qu’à S. Apollinaire. Pas d’usine pour gâter l’impression d’abandon, détresse. L’église se compose d’un corps aujourd’hui amorphe, et d’un singulier clocher, quadrangulaire »... Le carnet se termine sur la description du palais Baroccio, « grande construction peinte en rouge vif », avec petit schéma de la façade.
Deux feuilles volantes de références bibliographiques sont jointes au carnet..