Lot n° 165

Gustave Borgnis-Desbordes (1839-1900) général de division, commandant en chef des troupes françaises en Indochine. 56 L.A.S., 1898-1900, la plupart à sa sœur Claire, Mme Henri Lethier (6 ou à son frère Ernest, une cousine, ou Mme Paul...

Estimation : 1800 / 2000
Adjudication : 1800 €
Description
Dislère) ; 290 pages in-8 et in-12, la plupart à son chiffre ou à en-tête Troupes de l’Indo-Chine, Conseil supérieur de l’Indo-Chine ou Gouvernement général de l’Indo-Chine, 2 enveloppes.
Intéressante correspondance de l’époque de son commandement en Indochine, avant sa mort. Borgnis-Desbordes s’y révèle un critique cinglant des ministres, de l’état-major, et des hommes politiques en général, et parle franchement de l’affaire Dreyfus, des égarements de la politique coloniale française, de la seconde guerre des Boers, et de beaucoup d’« idiots » qui excitent son mépris. Il est aussi question souvent de ses frères, neveux et nièces.Marseille 30 décembre 1898. « Que Dieu m’aide si la guerre survient ! »... Il est sûr de faire tout ce qu’il doit, mais « tous ces hommes sans valeur morale et sans valeur intellectuelle suffisante qui mènent, ou croient mener, la France ne sont pas une garantie de succès, mais représentent la certitude de l’écrasement qui est la conséquence fatale d’une organisation absurde et d’une préparation par trop rudimentaire »...1899. Canal de Suez 6 janvier. « J’ai pris mon parti de la corvée qui peut devenir si dure dont on m’a gratifié. Mais ce ne sera pas gai, si la lutte a lieu de notre côté »... Colombo 16 janvier. Altercation avec Paul Doumer [gouverneur général de l’Indochine française] « qui a cru devoir attaquer le Mal de Mac-Mahon comme ayant mal conduit la bataille de Woerth. Il a dit des sottises, et je n’ai pas été aimable pour lui »... Cap Saint-Jacques 29 janvier. « Toutes les dépêches que nous recevons sont relatives à l’affaire Dreyfus »... Ils ne savent rien des relations anglo-françaises, et rien n’est sérieusement préparé. « J’attends une bataille ! Et c’est tout ! Heureusement, j’aurai pour auxiliaire les accès pernicieux, les coups de chaleur, la dysenterie et sans doute le choléra »... Saigon 29 février. Il songe à offrir bientôt sa démission de commandant en chef... Hanoï 11 mars. « Je ne pense pas que Mr Loubet ait la force et la volonté de mieux diriger la barque désemparée de la République »... Hongay 21 mars. Il a des relations courtoises avec le gouverneur, « mais cela ne veut pas dire que ça ne cassera pas. Je ne fais rien ni pour provoquer ni pour éviter la rupture »... Hanoï 2 avril. Jugements portés sur feu Félix Faure (un « soliveau »), et Émile Loubet (« incolore, un peu vieilli, un peu ramolli »), puis sur son métier de chef de du corps expéditionnaire du Tonkin : « le premier imbécile venu » peut le faire. « Je passe mes matinées à envoyer des hommes devant le Conseil de Guerre et à distribuer 200 ou 300 jours de prison »... « Sur le fleuve Rouge » 14 avril. « Je suis en route pour Quong Tchéou Wan, un pays chinois qui nous appartient. J’y vais avec le gal Delambre »... Sans surprise, il constate l’échec de ses derniers efforts contre les aspirations militaires des Colonies... Saigon 10 juin. De retour de Poulo Condore, « un fichu pays », il constate que l’affaire Dreyfus se déroule comme il l’avait prédit. « Mais ça n’est pas fini ; les coquins qui sont à la tête de toute cette monstrueuse iniquité ne se tiennent pas encore pour battus. Et ils entraveront encore l’éclosion de la lumière, mais elle percera tout de même. Ce pauvre Cavaignac qui s’est presque fâché contre moi quand je lui disais toutes les obscurités et toutes les saletés de cette histoire, il doit être heureux de s’être lancé à fond dans un pareil guêpier. Il était si facile de manœuvrer bien en manœuvrant honnêtement »... Hanoï 28 juin. Le ministère actuel, « salade de bonshommes hétérogènes », est celui « de la liquidation de l’affaire Dreyfus ». Lui-même avait raison contre presque tout le monde. « Le cousin de Cavaignac M. Dupaty de Clam est sous les verrous. Il ne l’a pas volé, et il l’a bien cherché. Mais on ne se doute pas de la gravité que cela peut avoir. Il va accuser tous ceux qui l’ont dirigé »... 9 juillet. Il s’amuse des débats de la Cour de Cassation : « Il y a longtemps que je suis fixé sur la valeur morale de notre grand État-major, néanmoins bien que je les tienne pour de pauvres diables sans moralité et sans intelligence, je suis obligé d’avouer qu’ils dépassent mes prévisions. Les conséquences de tout ce gâchis sont inéluctables »... 23 juillet. « Le Père Six vient de mourir. C’était un homme de génie. [...] Nous sommes indifférents à tout ce qui a quelque valeur »... 28 juillet. La liquidation de l’Affaire ne se fera pas immédiatement, et quelque révolution sociale pourra en sortir. La conséquence qui l’inquiète le plus sera « le fossé profond qu’on va faire entre le soldat et ses chefs. Le soldat est contre nous dans cette affaire, et, à mon avis, il a mille fois raison »... Il redoute le procès de Rennes : « Il peut sortir de ce procès nouveau de nouveaux scandales compromettant de plus en plus ce hanneton de Mercier, cet imbécile de Boisdeffre, cet égoïste endormi de Gonse, et l’armée portera le poids de toutes ces nouvelles fautes »... Do-Son 1er octobre. Il est de retour d’une tournée dans « quelques-uns des 180 et quelque pâtés qu’occupent les 30 000 hommes qui ont l’honneur de m’avoir pour chef. C’est un drôle de métier que je fais [...] je suis en même temps toute espèce de chose, agriculteur, ingénieur, artilleur aussi, administrateur, etc. Tout cela m’occupe, sans arriver d’ailleurs à aucun résultat, le Ministre ne répondant jamais. Pauvre France ! Et dire qu’il y a des imbéciles qui ne s’aperçoivent pas que nous marchons aux pires désastres ! »... Il a vu ces jours-ci des soldats plus mal logés que des cochons, et des ambulances avec deux hommes par lit. « C’est ainsi que la France soigne ceux qui la servent. Je ne me gêne pas pour dire que c’est malpropre ; et j’espère qu’on voudra se débarasser de moi, parce que je dis la vérité »... Hanoï 31 décembre. Les Chinois « ont tué 2 de nos officiers, leur ont mangé le cœur et ont souillé leurs cadavres, après quoi nous avons fait des excuses en abandonnant des points que nous occupions à Queng Tchéou Wan. – Ils ont bien voulu, ces Chinois, se contenter de cela, et nous sommes traités ici par eux comme une quantité négligeable. Je ne peux dire grand-chose du chemin de fer Laokay Yu Nantzé. – Je ne crois pas que les travaux puissent se faire sans coups de fusils. Les Chinois ont trop le mépris des Français pour nous permettre de venir les troubler chez eux »...1900. Hongay 18 janvier. « J’ai sous mes ordres peu de monde, il est vrai, de 26 à 30 000 hommes, mais je fais ce qui me plaît. Ne pouvant obtenir de réponse du ministre, je suis obligé d’agir comme s’il y en avait. Je fais des fortifications, je crée des enfants de troupe annamites, j’invente des musiques militaires indigènes avec des instruments du pays, je bâtis des casernes, je fais des routes, des ponts, etc. Bref j’agis tout seul, ou, selon les cas, d’accord avec le Gouvr, et, jusqu’à ce jour, nos relations ont été agréables »... à bord du Tuyen-Queng 19 janvier. « Ici, nous restons bien calmes, navrés seulement d’être conduits dans notre politique extérieure par des gens dont l’intelligence ne me paraît pas dépasser celle d’un chien comestible du Tonkin »... Hanoï 30 janvier. « Les Boers continuent à flanquer des tripotées aux anglais. J’en suis plus heureux que je ne saurai dire. Je hais ce peuple de marchands. Pourvu que les Boers ne manquent pas de munitions ! »... 3 avril. « L’horizon politique s’embrume, et la prochaine guerre pourrait bien être en Extrême Orient. Depuis un an, je demande des cartouches et des hommes. On ne m’a jamais répondu. Notre pauvre gouvernement est si indifférent à ce qui concerne la France ! »... 3 mai. Les Boers seront battus, mais ce n’est pas fini, « s’ils ont l’âme bien placée. Il n’y a que les pays pourris qu’on peut prendre en quelques mois. Les autres, c’est plus dur ; il y faut des années. L’Angleterre y perdra [...] beaucoup de ses enfants. Ce sera autant de bandits de moins dans le monde »... à bord du Colombo en route pour Saigon 14 mai. « Le commandement en temps de paix de 30 000 hommes, même avec de petits incidents, des coups de fusils de pirates, des discussions avec le Gouverneur Gal et avec les Ministres Guerre, Marine et Colonies, c’est à la portée de tous les idiots, et je m’ennuierais beaucoup si je n’organisais pas la défense de ce pays, non seulement sans l’aide de nos ministres, mais contrairement à des ordres ridicules qu’on m’envoie, et que je mets tranquillement dans mon tiroir. Si j’avais à envahir la Chine, la situation serait toute autre – et je m’amuserais pour tout de bon »... Hanoï 18 juin. « Les affaires avec la Chine se brouillent, et cela me donne un travail considérable. Je ne sais ce que l’avenir nous réserve. Avec des Ministres idiots, on peut s’attendre à tout. Ils ne dirigent pas les événements, ils sont ballotés par eux »... 28 juin. « Les affaires avec la Chine se brouillent. Je ne sais où nous allons. La France le sait-elle ? Je ne le crois pas. Si le feu allumé par la Russie ne s’éteint pas ou n’est pas éteint par l’opération du St Esprit, il se prépare une des plus formidables luttes d’un continent contre un autre, de l’Europe contre la plus grande partie de Asie »...On rencontre aussi les noms des généraux Louis Archinard, Abel-Charles-Auguste Bremens, Joseph Brugère, Jules Chanoine, Eugène Chédeville, Gaston de Galliffet, Benoît Mojon, Oscar de Négrier, etc., ainsi que celui du colonel Jean-François Klobb (plusieurs allusions à son assassinat en Afrique centrale, au cours de sa mission contre l’expédition Voulet-Chanoine)...On joint 2 L.A.S. de Joseph Laurent, aumônier à Tourane (Annam), au général Borgnis-Desbordes ou à Mme Léthier, 1900-1901, 2 photos de Borgnis-Desbordes, et un menu avec adresse autogr. à Mme Lethier (carte postale). Plus la copie d’une lettre à son père.
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