Lot n° 3

DENOËL (Jean). 456 lettres ou cartes autographes signées à Castor Seibel (1973-1976).

Estimation : 3 000 - 4 000 €
Adjudication : 2 962 €
Description
Jean Denoël (1902-1976), médecin, personnalité influente des éditions Gallimard, au sein desquelles il n'occupait d'ailleurs aucun poste défini, fut ce que l'on a coutume d'appeler un «homme de l'ombre». Il fut l'ami puis le défenseur de la mémoire de Max Jacob, mais aussi de Jean Cocteau, dont il fut l'exécuteur testamentaire, de Jean Paulhan, de Marie Laurencin, de Paul Morand... S'il n'a rien publié à l'exception de quelques préfaces, ces lettres révèlent assurément un véritable écrivain, doué d'une sensibilité aux êtres et aux choses peu commune.

Cette correspondance régulière qui court sur quatre années constitue le journal intime qu'il n'a pas tenu.

On y voit défiler Julien Green, Jean Dubuffet, Georges Braque, Jean Paulhan, André Derain, Florence Gould, Jean Hugo, Pierre Reverdy et tant d'autres, vivants ou morts, au premier rang desquels Marcel Jouhandeau, dont il fut l'intime, et dont il donne régulièrement des nouvelles à son correspondant. C'est également la chronique de ses lectures et des expositions qu'il va voir.

On y suit les variations de son état d'esprit, ses accès de mélancolie, les amis qui disparaissent progressivement, mais aussi l'émerveillement devant la vie, la lumière méditerranéenne, les paysages de Bretagne.

A ce titre, ces lettres constituent un document passionnant pour appréhender une personnalité secrète, qui, sa vie durant, s'effaça devant les autres.

Nous ne pouvons malheureusement transcrire ici qu'un faible échantillon de cet immense ensemble.

L'amour de la vie, malgré tout: «C'est l'automne à Paris, les arbres des boulevards tournent au roux - bientôt l' hiver, terrible saison dans laquelle je suis et de laquelle aussi je ne sortirai plus. Ce qui compte, c'est de vivre - c'est ça le bonheur au fond, et avoir la sérénité.» (23.9.73) «Ce matin, l'aurore monte, muette ma litanie pour célébrer l' indicible beauté.» (25.9.73)

L'amitié: «Je ne sais qui je suis, j'ai le bonheur de vivre. Je dois beaucoup à mes amis. Tout. J'aime aimer - et là où il y a poésie, je suis. Je suis un vieillard qui lutte pour la préservation de l'esprit de jeunesse en moi: coeur et esprit. Je pourrais parodier le cher Jean Cocteau: "J'ai mieux su faire l'amitié que l'amour".» (7.9.73) «Je dois tout à mes amis; ce sont eux qui m'ont façonné, pétri. Je pense à Paulhan, Gide, Cocteau, Max Jacob...» (15.9.73)

Sur Julien Green: «Chaque visite à Julien Green m'est un bain, bain de l' âme, du coeur, j'en sors toujours réconforté et notre conversation se prolonge longtemps en moi.» (28.9.73)

Sur Marie Laurencin: «Marie était la joie même, elle était demeurée la fauvette comme disaient ses amis peintres de la période Montmartre. Je pense à elle souvent, à mes bons moments avec elle dans son atelier et ailleurs. Notre Godeau l'aimait beaucoup.» (4.12.73)

La foi: «Quel bonheur pour moi chaque matin en regardant le soleil éclater le bleu de la mer.

Savez-vous, mon cher ami que je suis celte et que je suis né avec la foi déjà ancrée dans moi - depuis jamais elle ne m'a failli, c'est une force, une assurance aussi. Je crois que si je n'avais pas eu la foi, je n'aurais pas pu vivre. (...) En cette fin d'année je regarde le chemin parcouru... que d'arbres abattus! Saint-Pol Roux, Gide, Max Jacob, Martin du Gard, Cocteau... Cher Castor, vivons!» (29.12.73)

Nicolas de Staël: «Le rapprochement que vous faites de Poliakoff-Staël est assez justifié, mais je dois vous avouer que pour ma part, je trouve davantage de sensibilité dans N. de Staël - peut-être parce qu' il approche du figuratif, qu' il le recherche, semble-t-il avec la subtilité en plus. Non?» (23.3.74)

Saint Pol Roux: «Nul n'a su si bien parler de Saint Pol Roux que André Breton qui avait pour ce poète un véritable culte. Quelques mois avant sa mort je l'avais rencontré rue de Seine, nous nous sommes promenés une bonne heure durant en parlant de S P R avec une grande ferveur. (...)

S P R était un grand solitaire, sa maison par elle-même était une Haute Solitude, située au-dessus de l'océan sur une dune sauvage.» (3.5.74)

Marcel Jouhandeau: «Vu Marcel hier, venu à Paris pour quelques heures. Mais Paris n'est plus le Paris qu' il aime, j'ai l' impression qu' il s'y sent un peu étranger - il y a de quoi il est vrai.» (19.6.74) «Marcel est dans la gloire, je lui dis qu'elle passe, tombe, éphémère. Je crois qu' il n'est pas dupe - ça l'amuse aussi, je pense.» (14.8.74) «J'ai constaté depuis quelque temps que l'esprit de notre cher monsieur Godeau s'embrouillait passablement. Il oublie, mélange, revient sur ce qu' il a dit précédemment. Cela me semble inquiétant, bien sûr.» (4.3.75) «Marcel me téléphone de temps en temps - il est tantôt gai, tantôt aigre - mais que faire? Ce qui le préoccupe, c'est lui, son Oeuvre, le reste est superfétatoire.» (2.2.76)

Rencontre avec Miro: «J'ai pensé à vous hier, rencontre avec Miro que je n'avais plus rencontré depuis des années. Toujours aussi jeune d'allure et de pensée ce petit homme pétillant m'a charmé.

Nous avons évoqué nos amis communs disparus, Max Jacob dont il fut l'ami, Valadon, Utter...» (28.7.74)

Gide trichait aux boules: «Cette nuit, je pensais à Paulhan, j'ai eu avec lui de bons jours. Nous nous sommes retrouvés en vacances à Juan-les-Pins une année, il y avait aussi Gide. D' interminables parties de boules toujours très disputées - car Gide trichait. Il y avait un mot auquel Paulhan attachait une importance capitale, le mot authentique. Nous discutions à perte de vue sur lui.» (14.2.74)

Sur Giuseppe Ungaretti: «Quelle belle figure olympienne ce poète avait! Son calme serein et quel délicieux ami.» (23.1.74)

Georges Braque «Cette nuit, je pensais à Braque, je le revoyais dans son atelier, sa belle tête neigeuse pensive. Je le voyais méditer devant sa toile le pinceau à la main... Ah! les conversations entre lui et Paulhan - ce dernier souvent contradictoire - la parole mesurée de Braque.» (14.2.75)

La vie littéraire: «L' incident Marceau-Emmanuel? Accident de parvenus. Em. est un poète orgueilleux, poëte de la Résistance est son titre, alors... Cela ne changera rien à l'Académie. Morand me disait hier "dans deux mois il sera de retour".» (2.12.75)

Les amis qui s'en vont: «La disparition de Gaston Gallimard m'aura été doublement cruelle, celle d'un ami, d'un grand éditeur. Bien que l'on s'y attendait depuis des jours, cela stupéfie.

Sa mort n'a été connue qu'après qu' il fut enterré - c' était son désir.» (7.1.76) «Perturbé par la mort de Pierre Jean Jouve (...) Un ami de plus qui vient de disparaitre, un grand poète aussi. J'en suis bouleversé, attristé, seul davantage. S' il n'y avait l'amitié ce ne serait que désolation.» (7.1.76)

Remarquable ensemble. Une découverte
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