Description
▬JOINT:
•1 lettre signée de Claudio Abado à Castor Seibel.
Belle et riche correspondance du musicien.
Henri Sauguet (1901-1989) avait pris pour maître Erik Satie, à qui le présenta Darius Milhaud.
Il commença sa carrière musicale par un Ballet, Les Roses, en 1924. En 1927, Diaghilev lui commande un autre ballet, La Chatte, créé à Monte-Carlo avec Serge Lifar. En 1939, il remporte un grand succès avec son opéra tiré de La Chartreuse de Parme. En 1945, c'est la gloire internationale avec son ballet Les Forains. Jusqu'à la fin de sa vie, il ne cessera de composer pour le cinéma, le théâtre, la radio ou la télévision, collaborant régulièrement avec son compagnon, le peintre et décorateur Jacques Dupont (1909-1978).
Il connut le tout-Paris, mais fut particulièrement proche de Max Jacob, Jean Cocteau, Christian Bérard, Georges Auric et Marcel Jouhandeau.
Ces lettres témoignent de sa culture, de son humour, de son esprit parfois mordant, de sa pudeur aussi, qui accompagne les confidences qu'il peut faire sur son intimité. Il y est évidemment question de son art, mais aussi de ses amis, passés et présents, de ses lectures, de ses rencontres, de ses voyages, de ses joies et de ses peines.
Sur Jean Denoël: «Il n'y avait pas beaucoup d'amis à s' être dérangés le soir où on a célébré la messe à son intention à N.-D. des Champs! Même pas de bombe de ceux qu' il priait à un des déjeuners de Florence Gould, au Meurice, le mercredi! (...) Mais c'est ainsi, et ce n'est pas la première fois que je le constate: les Parisiens ont le coeur court, si ce n'est la mémoire! "Il faut se faire une raison"... oui.» (16.11.1976)
Sur André Malraux: «Oui! la mort de Malraux a fait un grand fracas, à la mesure du personnage qui fascinait par l' étrangeté de son comportement et ses propos de sybille dans les vapeurs de forts alcools!» (30.11.1976)
Sur Julien Green: «C'est, lui aussi, un être fascinant, pour bien d'autres raisons que Malraux.
(...) Il est secret et mystérieux: cependant il se raconte longuement et minutieusement dans son Journal!.. Il est vrai que dans la solitude du cabinet de travail, un écrivain parle plus aisément à son papier qu'en société. Quoi qu' il en soit, j'aime son allure presque ecclésiastique (pas genre Jouhandeau) et ses airs feutrés qui sont souvent démentis par une ardeur du regard et un sourire en demi-teinte, qui peut aller jusqu'au sourire narquois. Il est intimidant comme le sont tous les timides. On est tenu à distance.» (30.11.1976)
Sur Giorgio Morandi: «Merci pour votre lettre et pour les images de Giorgio Morandi. (...) Elles recèlent un secret qui les rend proches et lointaines à la fois. Matière? Pensée? Un oeil pas comme les autres en tous cas.» (25.1.1977)
Sur le goût des garçons: «Mais, évidemment, manquent dans mon horizon des serviteurs attentifs - superbes et landais - qui se font lever par des dames en mal de mâles... Au marché (...) vont et viennent quelques garçons de formes avantageuses, des "vacanciers" court-vêtus, des agriculteurs qui affichent des airs mauvais garçons et, eux, courent les filles qui rient sous cape.
C'est une survivance des marchés d'esclaves. Je regarde plus ou moins furtivement. On me connaît.
Je traine une réputation qu' il faut sauvegarder! Bien que...» (15.8.1977)
Sur la vie de province: «Je viens de rentrer de la grande foire annuelle dite "aux oignons". C'est une survivance des grandes foires du moyen âge. On s'y rencontre, on s'y donne des nouvelles de l'an passé, on y discute. Cela dure toute la matinée. Bien sûr on peut trouver pendant toute l'année ce qu'on y vient acquérir ce jour-là. Mais les coutumes, heureusement, ont la vie longue, et celle-ci ne bouge qu'en apparence (les carrioles sont remplacées par des automobiles, les vêtements ont pris des couleurs, les jeunes gens sont plus déshabillés et ont bien plus l'apparence de gitans, de mauvais garçons, que de petits paysans de la Gironde. Pour le reste, on demeure encore mu par des habitudes ancestrales qui font exécuter aux vivants les gestes que pendant des générations, ont accomplis les morts. Je crois que c'est cela, la vie éternelle!» (31.8.1977)
Sur Marcel Jouhandeau: «Je pense que la mort de Marcel Jouhandeau vous a frappé en plein coeur! Je l'ai apprise hier matin, dans le train qui m'amenait de Paris à Courtras, en déployant mon journal assis dans le wagon au moment où je quittais Paris! Il était mort depuis samedi soir et je n'en avais rien su! Personne ne me l'avait apprise. (...) Comme je ne sais à qui dire ma peine, mon émotion, mes sentiments de grande admiration - puisque je ne connais qu' à peine ce Marc qui était devenu son fils, c'est à vous, cher Castor, que j'adresse ces lignes, car vous étiez pour lui un ami essentiel! Et vous ne vous étiez jamais rencontrés physiquement. Mais quelle rencontre d'esprit et d' âme. Je vous embrasse de tout coeur, tristement, mais glorieusement, car la mort de Marcel
Jouhandeau met son Oeuvre au sommet de la littérature française, elle va resplendir de tous ses feux ouverts, de son style de diamant, étincelante et souveraine» (10.4.1979)
Sur Dunoyer de Segonzac et André Derain: «Je vais tâcher d'aller visiter cette exposition de D. de Segonzac dont vous me parlez. Je l'ai connu et sa femme, la comédienne Thérèse Dorny.
Il était un seigneur. Je suis de votre avis concernant Derain. Il était obsédé par l' idée de "faire musée" et son talent s'en est ressenti, malgré son génie!» (3.4.1978)
Sur la passion: «Il faut que la poésie, la peinture, la musique, l'amitié de tous ceux qui vous entourent, tout l'art que vous aimez et servez soit un antidote puissant et régénérateur aux tourments causés par la passion: celle-ci, acceptée, vécue, doit augmenter vos forces vitales et non les diminuer.» (16.1.1979)
Sur sa conception de la musique: «Il y a avant tout dans la musique de cette Oeuvre un sentiment de compassion humaine et de sur-vie (comme il y a un sur-réalisme). C'est-à-dire que, comme l'oiseau témoin impassible du drame qui se joue autour de l'arbre sur lequel il continue de chanter, la musique, bien que mue et frémissante pour l' événement, témoigne de l' intemporalité, dépasse l'anecdote et chante pour le triomphe de la vie sur la mort et crée la sur-vie. C'est du moins ce que j'ai tout naturellement tenté de chanter dans, d'ailleurs, la presque totalité de mes Oeuvres qui ont eu pour raison d' être le besoin de dépasser le temps et d'abolir les frontières qu' il cherche à nous imposer - dans lesquelles il tente de nous enfermer - la musique a ce pouvoir. Elle est élémentaire, un principe fondamental, un univers qui contient l'essence des sentiments de toute nature.» (18.4.1979)
Sur Jacques Dupont: «J'ai pu, ce mois d'août, bien travailler et achever un 3e quatuor à cordes que j'avais promis d' écrire à Jacques Dupont. Et dans cette maison et ce jardin où il demeure à présent, j'ai composé dans son atmosphère l'Oeuvre qu' il me souhaitait voir écrire pour lui» (7.9.1979) «Jacques Dupont est mort vendredi soir d'une embolie pulmonaire. Nous l'avons enterré hier au milieu de tous ses amis au cimetière Montmartre où j'avais acheté une concession pour nous recevoir tous les deux et où j' irai le rejoindre à la fin de mon existence. Je suis bien triste: c'est la fin d'une amitié de près d'un demi-siècle. Nous ne nous sommes jamais quittés et nous avons ensemble fait des opéras, des ballets, des spectacles et tant et tant d' échanges de tous ordres.» (27.4.1976)
Sur Pablo Picasso: «Il paraît que tous les autres Picasso qui sont dans les musées et dans le monde sont TOUS des faux. Seuls sont vrais ceux que Picasso avait conservés! Et aucun n'est à vendre!
Seulement à voir. Mais leur exposition rapporte plus d'argent que leur vente. C'est ce qu'on appelle l'art pour tous.» (20.11.1979)
Sur Tistou les-pouces-verts, opéra jeune public: «J' émerge d'un travail qui sollicite la majeure partie de mon temps. J' instrumente ce petit opéra pour les enfants que j'ai écrit et qui doit être achevé à la fin de ce mois. Je n'ai que le temps d'y passer tout mon temps. Il y a eu un beau concert le mois passé salle Gaveau pour commencer (en avance!) mon 80e anniversaire. Un violoniste mexicain a admirablement joué mon Concert d'Orphée» (10.2.1981)
Sur la jeunesse: «Dès 50 ans il faut se retirer pour faire place "aux jeunes". Qui est jeune, qui est vieux? Quand j'avais une dizaine d'années je préférais la compagnie des gens plus âgés que moi parce que je trouvais que mes petits camarades étaient tous trop vieux. Alors... en route pour le centenaire, n'est-ce pas?» (22.6.1981)
Sur les temps présents: «Ce que vous m' écrivez sur l'exposition Max Jacob à Mâcon est l' illustration de ce mépris dans lequel est enveloppée la chose artistique dans ce pays devenu un dortoir pour retraités, présents et futurs. Depuis qu'on a inventé la sécurité sociale, chacun se sentant définitivement protégé - qu' il soit actif ou passif - entend n'agir qu'au minimum en attendant le moment où, pris en charge par l'Etat (aveugle, sourd sinon muet) il deviendra un objet fossilisé.
Alors les expositions, les musées, les poètes, les musiciens... Ce sont des objets de loisir. Et le meilleur des loisirs est dormir, n'est-ce pas?» (13.8.1978)
Un très bel ensemble de lettres courant sur près de dix ans, où l'amitié, la complicité, la culture, l'honnêteté intellectuelle et la droiture morale s'expriment à chaque page