Lot n° 236

George SAND. L.A.S. « ton vieux troubadour », [Nohant] 10 avril [1874], à Gustave Flaubert ; 4 pages in-8 à son chiffre. Très belle lettre sur La Tentation de Saint Antoine de Flaubert, sur le succès, le roman et le théâtre. « Ceux...

Estimation : 1500 / 2000
Adjudication : 2 250 €
Description
qui disent que je ne trouve pas St Antoine beau et excellent en ont menti, je n’ai pas besoin de te le dire. Je te demande un peu comment j’aurais été faire mes confidences aux commis de Lévy que je ne connais pas ! Je me souviens, quant à Lévy, de lui avoir dit ici, l’été dernier, que je trouvais la chose superbe et de 1er n° ».

Elle ne peut lui faire un article, venant de refuser d’en faire un sur Quatre-vingt-treize de Victor Hugo : « J’ai dit que j’étais malade. Le fait est que je ne sais pas faire d’articles et que j’en ai tant fait pour Hugo que j’ai épuisé mon sujet. Je me demande pourquoi il n’en a jamais fait pour moi, car enfin je ne suis pas plus journaliste que lui, et j’aurais plus besoin de son appui qu’il n’a du mien. En somme, les articles ne servent à rien, à présent, pas plus que les amis au théâtre. Je te l’ai dit, c’est la lutte d’un contre tous, et le mystère, s’il y en a un, c’est de provoquer un courant électrique. Le sujet importe donc beaucoup au théâtre. Dans un roman on a le temps d’amener à soi le lecteur. Quelle différence ! Je ne dis pas comme toi qu’il n’y a rien de mystérieux. Si fait, c’est très mystérieux par un côté : c’est qu’on ne peut pas juger son effet d’avance et que les plus malins se trompent dix fois sur quinze. Tu dis toi-même que tu t’es trompé. Je travaille en ce moment à une pièce, il m’est impossible de savoir si je ne me trompe pas. Et quand le saurai-je ? le lendemain de la 1ère représentation, si je la fais représenter, ce qui n’est pas sûr. Il n’y a d’amusant que le travail qui n’a encore été lu à personne, tout le reste est corvée et métier, chose horrible !

Moque-toi donc de tous ces potins, les plus coupables sont ceux qui te les rapportent. Je trouve bien étrange qu’on dise tant contre toi à tes amis. On ne me dit jamais rien à moi : on sait que je ne laisserais pas dire.

Sois vaillant et content, puisque St Antoine va bien et se vend supérieurement. Que l’on t’éreinte dans tel ou tel journal, qu’est-ce que ça fait ? Jadis ça faisait quelque chose, à présent rien. Le public n’est plus le public d’autrefois et le journalisme n’a plus la moindre influence littéraire. Tout le monde est critique et fait son opinion soi-même. On ne me fait jamais d’articles pour mes romans. Je ne m’en aperçois pas ».

Elle termine :
« Je t’embrasse et nous t’aimons » ;
et elle signe :
« Ton vieux troubadour ».

Correspondance (éd. Georges Lubin), t. XXIV, p. 18.{CR}
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