Description
manques)..Extraordinaire et longue lettre, racontant avec verve une excursion sur la côte normande. .Après diverses recommandations à sa femme, notamment sur leur fils Marcel, et déplorations sur leur séparation, il fait le récit de son « odyssée à travers les falaises », depuis le départ « à marée descendante, sur les galets et les rochers, en espadrilles, le bâton au poing », jusqu’à la Fontaine aux Mousses ; s’il n’apprécie guère ce paysage de falaises blanchâtres, ni « cet éternel galet qui vous rompt la plante des pieds », il s’extasie au spectacle de la mer : « la mer, ma mer chérie, est toujours là, et tu sais si je l’aime. C’est bête comme chou, mais je reste là des heures à regarder, comme en extase. Cette immensité me fait faire mille réflexions, ces levers de soleils, ces couchers avec ces tons dorés, violets, ces petites barques au loin, ces majestueux et prudhommesques vapeurs qui viennent du Havre et vont soit à Southampton, soit dans la mer du Nord, cette mer qui a tous les tons de la palette, du plus clair au plus sombre, avec des diaphanéités inouïes, des reflets incomparables, des verts émeraude à faire envie à ta sœur, des expressions vagues de bleu à désespérer Lamartine, et des moutonnements sur les rocs à inspirer des vers d’un km. à Hugo ; avec des frissons, des spasmes, des soupirs à étouffer Musset, avec des aiguilles, des coins inconnus, des phosphorescences, des reflets métalliques à faire pâmer Monet ou à esquinter la verve voulue de Baudelaire, que te dirai-je ! Toute cette poésie, toute cette peinture, toute cette harmonie, ce bruit haletant et cadencé de la vague qui meurt et qui contient depuis Beethoven jusqu’à Shakespeare en passant par Michel-Ange, tout ça me transporte, me paralyse, m’énerve, me comble, me crible de joies ». Il a gravi une valleuse, mais renoncé à celle de Bénouville avec ses 365 marches et l’a admirée d’en bas. Après un déjeuner d’œufs dans une auberge, et l’inévitable trou normand, retour par la route d’Étretat. Le lendemain, excursion en carriole à Gonneville : « Nous prenons la route du Havre, avec du lin à droite et du colza à gauche, avec les coquelicots et bluets de rigueur, le tout couronné par les 6 fils télégraphiques de la route départementale, sur lesquels les moineaux, chardonnerets, buses et autres mouettes viennent de temps en temps danser une saltarelle ou chercher un point d’appui pour voir tomber leur petit caca. Ça monte tout le temps ; il est vrai que ça descendra en revenant, mais c’est embêtant quand ça monte, d’autant que ce cheval […] a des jambes en coton et ne prend le trot – et quel trot ! – qu’à la condition de lui enfoncer la jambe dans le derrière, pantalon compris, jusqu’à mi-cuisse ; et il s’y habitue ! si bien qu’il faut changer de temps en temps de jambe, sans quoi ça ne lui ferait plus aucun effet ; je crois même que ça lui ferait plaisir. Nous ne pouvons cependant pas déraciner un chêne séculaire pour le lui introduire où vous savez ». Déjeuner à l’auberge d’Aubourg, « qui est une autorité dans le pays et que touristes et excursionnistes connaissent tous. Ce bonhomme, un enfant du pays, a collectionné un vrai musée de vieilles et remarquables faïences, vieux meubles, armes, etc., le tout trouvé dans le pays. Il en a pour beaucoup d’argent et, maintes fois, il en a refusé la vente aux Offenbach, Albert Wolff, de Neuville, Dupray, Detaille etc. »… Bain de mer à Bruneval : « Édouard et moi enlevons jusqu’au dernier rempart de la pudeur – j’ai nommé le gilet de flanelle – et deux Adonis se jettent à l’eau. Bain exquis, bain rêvé ! Ce que cela me fait de bien, c’est pas dieu possible ! Nous sortons de là roses comme les joues de notre Marcel, car la mer aime à voir circuler le sang de ceux qui s’y plongent, et après nous être séchés au soleil et avoir enlevé soigneusement les petits grains de galets qui ont la manie de venir se réfugier entre les doigts de pieds du pauvre monde, nous avons revêtu depuis la chaussette jusqu’à la cravate »… Retour à Étretat, « cahin-caha ; ce pauvre cheval n’en peut plus »… Le lendemain, il ajoute le récit de la halte à Saint-Jouin, à l’hôtel de « la Belle Ernestine […] plus belle du tout, la belle Ernestine ; elle a, comme presque toutes les femmes d’ici, un râtelier » ; digression sur les râteliers… « Cette grosse femme a eu son heure de célébrité. Alph. Karr, Alex. Dumas père, Monselet, des peintres, des musiciens ont fait, il y a quelque 15 ans, une certaine renommée à sa vertu, car elle était sage à son hôtel, car elle cuisinait bien. […] elle a collectionné une quantité d’albums fort curieux sur lesquels tout-Paris moderne a laissé un mot d’esprit ou une bêtise, un dessin, un croquis, un compliment en vers à Ernestine, enfin tout ce qui peut passer par la cervelle ! J’ai écrit un fragment de L’Étoile en mettant au-dessous : “Extrait de L’Étoile, le plus grand succès des Bouffes-Parisiens”, puis j’ai signé ; les Offenbach seront épatés quand ils verront ça ! »….Correspondance (78-5). Ancienne collection Francis Poulenc.