Description
Conservatoire pour régler les auditions musicales de l’Exposition, Lamoureux m’a entraîné à Chatou et je me suis laissé faire. […] Aujourd’hui, Mme Delcroix viendra avec sa fille qui veut me chanter divers morceaux. Puis, Mlle Racot viendra prendre sa leçon […] La Nanon a essayé 3 fois son jersey. Mme Alice est là, qui la regarde. Nanon prétend qu’elle a l’air d’une gazelle et qu’elle ferait très bon effet sur les boulevards »… Il attend pour partir le livret de Briséïs que doit donner Catulle Mendès : « si j’ai toute ma besogne, ce sera superbe. – Enoch lui a écrit hier pour lui secouer les puces ». Nouvelles du ténor Van Dyck, installé à Bayreuth : « Mme Wagner insiste pour que je vienne […] il faudra que j’y aille : à cause de Mottl, à cause de V[an] Dyck, à cause des Wagner, à cause de moi-même vis à vis des autres qui y sont allés, j’ai l’air de m’isoler, ça finirait par faire mauvais effet »... Il termine par des plaintes sur la paresse de ses « deux jeunes bougres » de fils….[Paris, 3-4 juillet 1888]. Il a vu Alfred Bruneau à l’Opéra-Comique : « je l’ai pincé pour Gwendoline et il viendra mardi matin avec Gandrey l’entendre à la maison »… Il va déjeuner avec Catulle Mendès, « puis copie du 2d acte »….[La Guérinière] Vendredi [26 octobre 1888]. Séjour au château de la Guérinière, chez le vicomte de Maupas : « Des arbres, encore des arbres, toujours des arbres, à perte de vue […] Mme de Maupas, très engraissée, mais surtout de figure, ravie de me recevoir, fort empressée ; puis le père de M. de Maupas, ancien officier, sourd, 76 ans, mais d’une constitution robuste, de taille élevée, la voix forte, la moustache en crocs – pouvant vivre cent ans ; un athlète, comme son fils, du reste qui, d’un revers de main, enverrait ton pauvre loup rouler à quinze pas ; – mais il est bon comme le pain, doux comme un agneau, adore sa femme qu’il contemple un peu et qui se carre dans un magnifique château Louis XIII excessivement authentique, avec tourelles, pont-levis, pièces d’eaux, communs, dépendances, fermes ; 500 hectares de bois. […] Grand chasseur, M. de Maupas ; 40 à 42 ans, tanné par le soleil, toujours à parcourir sa propriété qu’il surveille ferme et lui rapporte gros ; dix à douze chevaux, 20 vaches, des légions de poules, du lapin, du lièvre, du chevreuil et du sanglier car il chasse à courre, – partant plus de cinquante chiens ; ça aboie de tous les côtés. Pas artiste, mais intelligent, très gai, très robuste, enfin et vraiment un charmant homme. Après le dîner, musique à 4 mains avec la maîtresse de la maison […] Ce matin, j’ai visité le parc avec M. de Maupas ; il y a là, je les vois même d’ici, en t’écrivant, 5 arbres âgés de 600 ans qui sont des merveilles […], avec des troncs énormes où se terrent les lapins, voire même des renards, puis, plus haut, d’autres cavités bizarres servant de gîtes à des familles entières de hiboux, de chouettes etc. ; il paraît qu’au printemps ces arbres cachent et abritent les amours de toutes sortes de bêtes, poil ou plume ; qu’on s’y embrasse, qu’on s’y flanque des râclées et qu’on y piaille à bec ou à museau que veux-tu. Je suis resté réellement en contemplation devant ces vénérables arbres dont les racines ont encore assez de force et de sève pour donner la vie à de jeunes petits châtaigniers, qui poussent là, sous les immenses ailes de leurs arrières-grands-pères ; quelle force ! c’est admirable. À l’ombre de pareils géants, il semble qu’on ne composerait pas une mièvrerie, je t’assure. – Je retournerai les voir ; c’est mieux que du Massenet ; ces arbres me font penser au père Bach, qui nourrit encore du reste, comme eux, de jeunes générations de musiciens, – et les nourrira toujours »… Etc..La Membrolle [automne 1888]. « Maman, je fume beaucoup moins, je t’assure, et me porte parfaitement. Le loup est des plus convenables. La mère Bordier attendra ; cette femme m’horripile. […] Il paraît, si cela peut t’intéresser, qu’elle lève le coude et qu’elle ne jouit pas de toutes ses facultés ; du reste, ce n’est pas si commun que ça de jouir de toutes ses facultés. Et ce qui le prouve c’est que ta mère et la Nanon, qui s’adorent, entre parenthèses, viennent, par un froid d’Emmanuel, c’est-à-dire de loup, de partir pour cette imbécile de Chaînée gauler des noix […] Du reste, ces deux duègnes sont vêtues copieusement. Ça leur fera peut-être du bien. Elles font des tournées dans le jardin, elles grabugent jusqu’à dix heures »… Etc..[La Membrolle, vers le 11 novembre 1888]. « Maman ! j’esquinte mes belles chemises sur mon établi et je voudrais les ménager » ; recommandations pour l’achat de nouvelles chemises… « Ah ! Mme Kerst trouve que je ne me remue pas assez ! je ne sais pas ce qu’il lui faut et ce n’est pas l’opinion que l’on a de moi généralement. Moi, je trouve très épatant le chemin parcouru en dix ans, je n’ai pas à me plaindre, étant donné la carrière terrible où je me suis engagé. – Quant à Jocelyn, ils retardent, les Kerst, et hélas, Godard aussi. C’est de la musique de 1850, et c’est elle, la pauvre dame, qui ne se remue pas assez ; elle verrait, si elle se remuait, que l’art a marché depuis Jocelyn ! ah fichtre ! ah bougre ! mais c’est encore des maisons à chiens, ça ; l’an prochain, il y aura un perroquet, c’est dans l’air, je le sens »....Correspondance (88-61, 88-67, 88-104, 83-31 [redatée], 88-123). Ancienne collection Francis Poulenc.