Lot n° 42

Henri Louis Cain, dit LEKAIN (1729-1778) le grand tragédien, interprète de Voltaire. L.A.S., Paris 16 mai 1769, à son fils Bernardin, « mon cher enfent » ; 4 pages in-4 (bord légèrement effrangé, petites fentes réparées)..Longue lettre...

Estimation : 800 / 1 000
Adjudication : 1 875 €
Description
d’encouragement et de conseils à son fils aîné, parti pour l’Isle de France (Maurice)..Il est peiné de savoir son enfant« vivement attaqué du scorbut », mais le sait suffisamment raisonnable pour ne pas s’inquiéter outre mesure de cet état momentané. « La description que vous me faites de vos caravannes est sage, assés bien écrite, et quelquefois plaisante, elle m’eût encore plus satisfait si vous eussiés pris la peine de l’écrire dans un meilleur caractère, c’est à quoy il faut vous appliquer d’après les exemples que vous avez emportés ; Monsieur Poivre ne vous pardonnerait pas de lui présenter des états qui ne seraient pas lisibles »… C’est avec plaisir qu’il suppléera à ses modestes appointements, « surtout si j’apprends par Monsieur le Duc de Praslin que vous vous comportés avec les principes d’honneur que vous me semblés adopter ». Il lui fera remettre le tout par M. Dubus, « votre protecteur et mon ami »… Il l’incite à se munir du courage « que tout homme doit avoir quand il commence sa carrière, soyés honnête et doux avec vos camarades, et si l’éducation que vous avés reçu vous donne quelque supériorité sur eux, n’en usés qu’avec modestie, car rien ne révolte plus l’amour propre que la morgue du sçavoir, visavis des ignorants »... Il a été particulièrement flatté en lisant dans sa lettre « le plaisir que vous avés eu à vous ressouvenir de vos études ; si ces bonnes dispositions vous durent encore, je vous offre les moyens de les cultiver ». Il lui envoie à cet effet les œuvres d’Horace, de Virgile et Cicéron ainsi qu’une grammaire latine... « Vous aurés un plaisir égal à dessinner de tems en tems, à vous donner des notions sur la géographie, et sur l’astronomie ; rien n’est avide à votre age […] c’est au mien où l’on se laisse aller à l’abbatement quand le travail donne des maladies, et que les mauvais traitements perpétués absorbent l’amour propre »… Son médecin envisage de l’envoyer prendre les eaux au sud des Pyrénées, un voyage éprouvant, dont il reviendra par la Provence, après avoir visité Toulon et Hyères… Il lui donne les dernières nouvelles du milieu théâtral parisien : la mort du pauvre Vélaine, et le mariage de Molé avec Mlle d’Espinay, l’ouverture de l’opéra au Palais Royal le 11 novembre prochain, le déplacement de la Comédie Italienne aux Tuileries « jusqu’à ce qu’on lui ait bâti une salle dans un autre quartier que celui des Halles, à cause de l’embarras affreux que font les voitures, dans le quartier de Paris le plus embarassé ». Il poursuit avec quelques nouvelles de l’Europe, notamment la guerre continuelle des Confédérés de Pologne contre la Russie, l’Impératrice Catherine II à propos de laquelle il cite Polyeucte de « mon divin Corneille », le prochain mariage du Dauphin « à l’une des archiduchesses d’Autriche » [Marie-Antoinette], la mort du Pape [Clément XIII] qu’on soupçonne les Jésuites d’avoir empoisonné... « Le jeune duc de Parme a signé l’extinction de l’inquisition dans les trois duchés de Naples, d’Espagne et de Portugal. Il faut enfin que l’Europe s’éclaire sur les friponneries et sur l’abus du pouvoir monacal ; mais il reste à sçavoir si les peuples en seront beaucoup plus heureux, car il est très rare que l’on nous débarasse d’un joug sans nous en imposer une autre ; c’est le sort commun de l’humanité »… Quant à sa fortune, il n’est pas vrai que son état lui a rapporté 12.000 livres de rente : « Il ne faut pas croire que tout l’argent qui entre à la comédie, luy appartienne en propre, il s’en faut de beaucoup ; les charges et les frais forment un capital de plus de deux cent mille francs […] c’est d’après cette vérité que l’on a forcé le grand bureau des Pauvres à faire un abonnement avec tous les spectacles, pour la perception du quart ». Il recommande donc à son fils de ne rien attester sans en avoir une preuve sûre, et l’embrasse bien tendrement.
Partager