Lot n° 749

MALLARMÉ, Stéphane. Un coup de dés jamais n'abolira le hasard. Épreuves corrigées. [Paris, Imprimerie Firmin-Didot, novembre 1897]. In-folio (380 x 282 mm) de (21) pages ; conservé sous étui-chemise de maroquin et daim marron, double titre...

Estimation : 40 000 / 60 000 €
Adjudication : 72 390 €
Description
en romains et italiques mosaïqué en lettres de maroquin marron sur le premier plat (P.-L. Martin, 1963).

►Très rare jeu d'épreuves du grand poème de la modernité.

Il comporte 21 corrections autographes de Mallarmé aux feuillets suivants : [3]r et [4]v (indication d'alignement au crayon rouge ; [4]v et [5]r (deux corrections typographiques au crayon noir et sept indictions d'alignement au crayon rouge ; [5]v (trois corrections typographiques au crayon noir) ; [9]v (une correction typographique au crayon noir et une indication d'alignement au crayon rouge); [10]v et [11]r (deux indications d'alignement au crayon rouge) ; [11]v et [12]r (une correction typographique au crayon noir et trois indications d'alignement au crayon rouge, dont un repentir).

▬On a joint les trois lithographies d'Odilon Redon pour illustrer le Coup de dés, ainsi que deux lettres autographes signées du peintre à Stéphane Mallarmé.

• Les lithographies de Redon (env. 380 x 240 mm) sont tirées en noir sur papier de Chine.
Elles représentent une femme de profil et des dés, une tête d'enfant et une sirène. Les deux premières sont signées dans la pierre du monogramme de Redon ; la troisième n'est pas signée.

• Le premier document autographe est un billet de courtoisie sur bristol bleu (2 pages 88 x 113 mm, daté du 19 juillet 1889, encre noire, enveloppe timbrée).

• Le second, daté du 20 avril 1898 (2 pages 178 x 110 mm, encre noire, enveloppe timbrée),
est très important pour l’histoire du projet d'illustration du Coup de dés. Redon, à qui Vollard
a "montré des papiers superbes", s'apprête à graver sur pierre ses dessins :

"... je crois que, pour l'unité, nous pourrions tenter l'impression des lithographies sur papier blanc, c'est-à-dire sur celui du texte, bien que séparément placées ; je me propose de dessiner blond et pâle afin de ne pas contrarier l'effet des caractères, ni leur variété nouvelle. J'ai les pierres au grainage, c'est vous dire que je serai bientôt à l'œuvre..."

►Les épreuves du Coup de dés sont le seul témoignage de ce Livre impossible dont l'architecture typographique, ordonnancée par l'auteur, est inséparable du poème.

Le projet d'un "grand poème typographique et cosmogonique" (Paul Claudel) existait peut-être dès 1895.
Une première ébauche fut donnée le 4 mai 1897 par une prépublication dans la revue britannique Cosmopolis. "Dans cette prépublication toutefois, l'innovation était limitée par les nécessités techniques de fabrication de la revue : l'unité n'en était pas la double page, mais la page simple, ce qui majorait singulièrement la verticalité du poème au détriment de son expansion horizontale" (Bertrand Marchal).

Le poème tel que le voulait Mallarmé n'existait donc pas encore, ce qu'il explique dans une lettre à Gide datée du 14 mai : "Ainsi cette tentative, une première, ce tâtonnement ne vous ont pas choqué, encore se présentent-ils mal.
Cosmopolis a été crâne et délicieux ; mais je n'ai pu lui présenter la chose qu'à moitié, déjà, c'était, pour lui, tant risquer !". Après cette "tentative", ce "tâtonnement", une édition du poème est entreprise à l'été 1897.

Le projet réunit l'éditeur Ambroise Vollard et le peintre Odilon Redon. Mallarmé apporta le manuscrit tel qu'il devait être imprimé à Firmin-Didot, les phrases et les mots ayant une place très précise dans l'espace des double pages :
blancs, interlignes, marges, décalages devaient être parfaitement respectés. Les premières épreuves de l'imprimeur furent remises à Mallarmé au début du mois de juillet 1897.
Mais l'impression posant des problèmes typographiques inédits, aucun des jeux d'épreuves qui lui furent présentés ne le satisfirent.

Le 15 septembre, Mallarmé écrivait à Vollard : "Vous savez que la maison Didot traîne infiniment :
j'ai eu trois fois des épreuves, mais à des mois d'intervalle, les intermédiaires assez satisfaisantes ; les dernières, inconsidérément et sans indication mienne, modifiées. Tout ceci de petits ennuis, tout en présentant cette gravité que je n'ai encore tenu rien d'assez net pour le communiquer à Redon. Je viens d'écrire, de presser et espère avoir quelque-chose de propre cette fois-ci".

Entre juillet et novembre 1897, Mallarmé reçut au moins cinq séries d'épreuves, à raison d'une série par mois. Chacune était composée de quatre ou cinq jeux : le poète renvoyait un jeu corrigé
à l'imprimeur, en gardait un autre comme "témoin" pour lui, et distribuait les quelques autres,
non corrigés, à ses amis.

■ Il ne subsiste que 15 jeux d'épreuves, dont 10 plus ou moins corrigés.

Deux jeux sont conservés à la Bibliothèque nationale de France, quatre (dont trois incomplets) à la Houghton Library (Harvard), et un autre à la Bibliothèque Jacques Doucet. En mains privées : celui de Pierre Bergé (anciennement coll. André Rodocanachi), celui de Louis Clayeux, et les six jeux qui ont réapparu à la la vente De la bibliothèque de Stéphane Mallarmé (cat. Sotheby's, 15 octobre 2015, n° 164)

Les difficultés de l'impression, le retard dans les illustrations d'Odilon Redon et la mort prématurée de Mallarmé feront que le livre ne sera pas édité. En 1914, les éditions de la Nouvelle Revue française publieront le poème, mais bien différemment de ce que voulait Mallarmé : sans les illustrations, avec la préface de la revue Cosmopolis et des caractères d'imprimerie très différents de ceux de Firmin-Didot.

Provenance :
•Edmée MAUS et
•André RODOCANACHI, avec les ex-libris.

Pli vertical avec piqûres légères sur tous les feuillets ; pâles rousseurs sur les lithographies.

Mallarmé, Œuvres complètes, I, éd. de B. Marchal, Bibliothèque de la Pléiade, 1998, 16-817 & 1315-1327. – Mellerio (Redon), 1923, n° 186, 187 et 188.
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