Description
Fentes à quelques pliures, quelques lettres avec petits manques portant atteinte au texte.
►Poignante correspondance de ce peintre et écrivain dont les souffrances physiques irradient l'art, évoquant ses illustrations de Baudelaire, ses expositions, et son « roman de l'hérédité », Sangs – Louise Hervieux, affectée de multiples maux héréditaires, serait à l'origine de l'instauration du carnet de santé.
▬ Boulogne, 11 novembre 1921. « Est-il possible que vous vouliez vraiment me venir voir !... Ce n'est pas que j'aie grand chose à vous montrer, mais il y a quelques illustrations pour "Spleen" qui sont assez terribles ! Et justement je vais devoir les porter à l'éditeur... » L'édition du Spleen de Paris de Baudelaire illustrée de cuivres d'après les dessins de Louise Hervieu paraîtrait en 1922 aux éditions de la Banderole.
▬ Boulogne, 7 mars 1922. « Quelle est donc cette femme étonnante qui tient trop de place dans [la revue] L'Amour de l'art de cette semaine. Le Lynx m'envoie la coupure, mais ce n'est pas moi, il y a erreur. Ou bien c'est votre génie, cher prophète Élie, qui a fait de la pauvre Hervieu une créature d'une si terrible envergure. Je n'ai point de mérite, n'ayant pas fait de choix et aimant toutes choses mêmement.
Parce que je suis malade, retirée, économe et ménagère, j'admire les désordres sacrés de l'art et les dépenses exagérées de vie et toutes les sortes d'amours religieux et autres. Il n'y a que les pauvres pour parler richesses.
L'argent qu'ils n'ont pas, les préoccupe. Je suis dans le dessein d'aller vous dire ma reconnaissance et mes remerciements, mais je n'en peux plus, et c'est de mon lit que je vous écris... De tout cœur, je vous suis reconnaissante et j'admire cette prose où vous êtes plus peintre qu'aucun de nous et magicien si habile que vous savez nous... étonner, nous ravir et nous transporter... »
▬ Boulogne, 22 mars 1922.
« Merci, merci, cher et magnifique Élie Faure. Vous me faites don de toutes les richesses de l'Univers et tous temps et tous lieux et vous me les expliquez de la manière la plus somptueuse et la plus clairvoyante. Je suis comme assaillie de beauté. j'en ai pour longtemps, j'en ai pour ma vie. Et tandis que je suis éblouie par tous ces soleils, devant des choses si vastes et parfaites,
je me dis que les œuvres qui ne correspondent pas aux nécessités du temps du régime et qui ne ressemblent ni à l'homme ni à ses passions sont inutiles et dangereuses. Il y en a tant qui pèchent par excès d'intelligence là où il faut de la science, de la patience et du cœur.
Je suis moins coupable qu'eux, toute simple fille que je suis, avec ma rusticité et ma maladie pour rabattre votre orgueil. Cher élie Faure, vous vous êtes mis sous le vocable de Baudelaire. C'est un bon saint et c'est aussi mon patron. pardonnez-moi si, dès le reçu, je ne vous ai pas remercié, mais j'étais si emportée d'enthousiasme, que j'allais d'une richesse et d'une nouveauté à une autre richesse et une autre chose nouvelle, si passionnée à vous lire que j'en omettais de vous remercier... Et laissez-moi vous dire combien le choix de vos illustrations m'a comblée de plaisir. J'y ai vu des figures de Corot en tous points admirables et aucun de ces paysages effilochés que je ne sais pas aimer. J'ai vu madame de Senons [le Portrait de madame de Senonnes d'Ingres], dans son velours et ses dentelles et qui ressemble à la sensualité satisfaite, et ces figures égyptiennes et grecques, et El greco et tout et tout, car j'ai tout vu dans votre livre, et je ne savais pas que toutes ces choses existaient !... »
▬ S.l., [printemps 1922]. « ... D'abord... 500 [de plus] c'est trop pour vous et moi, nous nous arrêterons, si vous le voulez bien, à 500 [en tout] et ce sera tout à fait assez. Alors il ne vous restera plus que 300 à donner. Et l'esquisse des "Bijoux" [de Baudelaire], je vous la donnerai si vous le permettez qu'au moment de mon expo. Il est bien entendu aussi que vous me prêtez "Le beau crime" pour mon expo, c'est juré. Le dessin est fixé et bien fixé, mais il vaut quand même mieux le conserver sous verre... »
▬ Boulogne, 28 mai 1922.
« J'ai bien le chèque qui m'est arrivé sain et sauf. Merci... de votre munificence.
Vous voudrez bien seulement me laisser jusqu'à mon expo. l'étude que j'avais faite, pas trop malproprement, des "Bijoux" [de Baudelaire] de votre album.
Elle est à vous, mais, avec votre permission, je ne vous la porterai qu'au moment de cette expo. qui viendra toujours trop vite ! Elle devait avoir lieu en ce moment, mais elle a été retardée, à cause de ce que Daragnès n'aura parachevé l'édition de "Spleen" que pour la rentrée [Gabriel Daragnès dirigeait alors les tirages d'estampes pour les Éditions de la Banderole].
Je peux bien le dire, car mes dessins y sont pour peu de choses ! Mais Daragnès a fait avec eux des illustrations en hélio. que je trouve bien belles... »
▬ S.l., « lundi » [printemps 1922].
« Voici que je deviens une vraie belle-mère pour vous... Figurez-vous que, en y réfléchissant, il me paraît que "Le beau crime" serait mieux placé sur le panneau du fond, à la place du dessin de Van Gogh [appartenant à Élie Faure], il serait plus mystérieux avec le jour frisant, et on réserverait la lumière de face au merveilleux Van Gogh... »
▬ Boulogne, « Jour Toussaint », [1er novembre 1922]. Sur son exposition à la galerie Bernheim jeune : « Dès samedi après-midi, je serai accrochée et à 3 h. les amis de l'hôpital, Vuillard, Bonnard, Félix [l'écrivain et critique Félix Fénéon, directeur artistique de la galerie Bernheim jeune], Bourdelle, Daragnès, Zarraga [le peintre mexicain Ángel Zárraga] viendront me réconforter sous la forme d'embrassements... Toi qui ne m'a pas quittée et qui m'assista jusque sous le couteau, tu es le plus parfait de tous, veux-tu cette fois encore être près de moi, dans l'épreuve de l'exposition qui dépasse toutes les autres en cruauté... »
▬ Boulogne, 31 janvier 1933.
« ... Comment ne pas te rappeler ta bonté envers moi, ton assistance dans mes hôpitaux ! Te le rappeler avec tous les vœux d'un cœur et d'une mémoire à jamais fidèles. Ton souvenir, et malgré que tu veuilles t'en défendre, la grâce de ton indulgence, éclairent ma douloureuse retraite.
Pourquoi, ces jours où je suis en peine d'exposition, ai-je laissé partir comme des orphelins ces dessins que je ne peux ni suivre ni protéger ! Tandis que les camarades, des "vivants", eux autres, se tiennent près de leurs œuvres qu'ils défendent. Mais il me semblait que je devais revenir pour leur jubilé du cinquantenaire, à ces Indépendants, près desquels j'étais déjà en 1903, aux temps héroïques où une jeune liberté, celle de l'art, était encore innocente.
Et j'ai envoyé au Grand Palais ce que j'ai fait de plus conséquent : un monumental "Éventail moucheté", et une Venezia qui est aux dires des camarades mon dessin le plus "riche". Cette richesse des malheureux, ce festin de leurs rêves et leurs pauvres désirs jamais exaucés.
Et la naissance de Venezia fut assez mystérieuse, car je l'ai établie au sortir du mois de juillet et d'août, ceux de ce fol été, passés au lit sous la compression du cervelet. Mes docteurs en furent dans l'émoi, quand j'accouchais de Venezia, enrichie de mes douleurs. Si elle ne naufrage pas dans le flot de peinture du Grand Palais, elle fera le centre de ma participation à l'expo. internationale de Venise. Dans ces exhibitions, quelle amertume me possède à sonder le fonds de mon impuissance, de ma déchéance. Mais le temps viendra où je n'appartiendrai plus qu'à ma douloureuse paix, fût-ce en quelque Bicêtre mais du moins avec des malheureux de mon espèce... »
▬ S.l., 23 janvier 1936.
« Quand le monde est parti, après la fête, comme une pauvresse, voici ta vieille Louise qui s'amène en douce, à la brune, parce qu'elle a honte et horreur de son dénuement physique...
De déroute en déroute, j'ai cependant mené aux deux tiers ce roman de l'héréd[it]é [Sangs, roman autobiographique paru en 1936, évoquant la question des maladies héréditaires]... dont je t'avais bien sûr parlé car il centre mes pensées. Je voudrais laisser cette seule trace de mon passage... C'est pousser mon cri en même temps que celui des autres misérables fichus comme moi... Mais j'ai l'arrière-crainte que le livre m'achève avant que je ne l'achève ! Mes yeux et mes forces me trahissent. Je fus trop présomptueuse. Nous sommes des déchus, nous autres les incurables ! Et il ne nous est pas permis de servir. Ce n'était pas une pirouette, cependant, qu'un tel travail.
Notre Fénéon qui en a corrigé le premier volume a dit que c'était une immense entreprise... et Claude Roger-Marx se dit bouleversé [l'écrivain critique et marchand d'art Félix Fénéon, et le critique et historien d'art Claude Roger-Marx]. Il soutient de son pouvoir amical ta pauvre Louise... »
▬ Joint,
•2 lettres autographes signées de Louise Hervieu à la veuve d'Élie Faure, pour lui présenter ses condoléances (10 novembre 1937), et pour la remercier de l'envoi d'un portrait de celui-ci (24 décembre 1937), et un reçu pour un chèque d'Élie Faure (25 mars 1922).
▬ On joint
• une page manuscrite Le Crime et un tapuscrit de 60 pages environ Conjuration.