Description
♦ Peintre, décorateur et créateur de meubles, Francis Jourdain est le fils de l'architecte, écrivain et amateur d'art Frantz Jourdain. Un des membres fondateurs avec Robert Mallet-Stevens de l'Union des artistes modernes, il est le créateur du concept de « meubles interchangeables » désormais largement adopté. Anarchiste puis proche du parti communiste auquel il adhéra en 1944, il travailla pour des personnalités en vue mais s'attacha également à rendre ses meubles accessibles à la classe ouvrière.
▬ Paris, [1902, d'après une note postérieure d'une autre main].
« ... Je suis honteux de vous écrire si tard. j'aurais dû, j'aurais voulu vous dire de suite le plaisir que m'ont fait les lignes que vous me consacrez à l'occasion [du Salon] des "Indépendants".
Mes envois y sont de si minime importance que je ne peux voir dans vos éloges que le manifeste désir de m'être agréable. Cette sympathie me touche vivement et l'intérêt que vous portez à mes essais me cause, je ne le cache pas, une joie toute spéciale qui trouve son explication dans l'estime que j'ai pour vous. Je suis le plus fidèlement possible vos belles études.
→ Vous avez apporté dans la critique d'art, souvent si fastidieuse, des éléments de vie, d'humanité qui en font une philosophie très large, sortant même d'une étroite esthétique pour donner un ensemble d'idées générales sur le monde.
Je vous aime parce que j'ai trouvé dans vos écrits, lumineusement exprimée, une morale (ou peut-être une amorale) qui est bien l'écho de ce que je ressens. Je vous aime parce que je sens chez vous non plus un critique, mais mieux qu'un critique, mieux qu'un artiste, un homme... »
▬ S.l., [1904].
« C'est un livre magnifique, mon cher ami, que celui que vous avez écrit sur Vélasquez.
Je viens seulement de le lire et je tiens à vous dire mon enthousiasme. Je veux croire que vous me supposez incapable d'une basse flatterie. Vous pouvez être fier de cette étude si compréhensive, si humaine, tellement au-dessus d'une simple "critique d'art". C'est de la vie que vous étudiez à travers l'âme du grand peintre ;
comme j'aime ce souci que vous avez eu de montrer un homme, tout près de nous, pas un dieu, un pauvre bougre d'homme qu'on peut, enfin, non plus idolâtrer, mais aimer et qui ne vous intimide pas avec son auréole. Et pourtant vous avez su éviter l'anecdote puérile, aussi bien que le cours du professeur d'esthétique.
Je crois bien que vous êtes le seul qui parliez de l'art comme on parle de la vie. On a fait de l'art un paradis. Mais ce paradis-là et comme l'autre, le grand, il est temps de le remettre sur terre. Et comme on comprend mieux l'art quand, comme vous, on comprend et on aime la vie.
Vous avez pu dire sur Vélasquez des choses jamais dites et profondément vraies, qui n'ont rien à voir avec le dilettantisme des terribles "gents de goût", des dangereux "amateurs d'art"... »
▬ S.l., [1906, d'après une note postérieure d'une autre main].
« J'ai lu avec une bien sincère joie... la très belle page de vous que publie le dernier numéro du "Musée". Comme il est dommage qu'il n'existe pas une revue pour défendre les idées que vous exposez avec tant de netteté ; car c'est tout un programme que cette conception du vandalisme révolutionnaire opposé au vandalisme conservateur.
Et comme il serait intéressant de pouvoir dire, affirmer, répéter, prouver que – contrairement à ce qu'on dit – les révolutionnaires ne méprisent pas le passé, qu'ils en sont les continuateurs respectueux et que la compréhension intelligente de la vraie tradition ne peut être que révolutionnaire.
Ces idées ne sont discutées nulle part. Elles sont seulement attaquées, raillées, avec une parfaite mauvaise foi, avec un jésuitisme ingénieux d'ailleurs et parfois talentueux par tous les catholiques de l'Occident et d'ailleurs... »
▬ Coutevroult, en Seine-et-Marne, [1909, d'après une note postérieure d'une autre main].
« ... Mon ciel serait sans nuage si le remords ne me hantait de n'avoir pas apporté ma pierre à l'édifice qu'élève à Sceaux la section du parti socialiste (S.F.I.O.). "Les Semailles" !
Une dame toute nue ou quelque rude travailleur jetant à pleines mains le grain des revendications prolétariennes, tandis qu'à l'horizon monte le "soleil de l'Égalité" ! L'aube du Grand Soir ! Lumineux symbole ! L'émancipation des travailleurs sera l'œuvre des... etc... Ah que j'ai pensé à tout cela ! Et que j'ai rêvé aussi d'une belle couverture blanche, sans dessin, avec ces simples mots :
"Les Semailles", et pas de dessin, pas l'ombre de quoi que ce soit qui pourrait ressembler à un dessin. Je blague mais au fond (j'espère que vous le savez) je suis très embêté de ne vous avoir pas rendu le mince service que vous me demandiez, et très honteux vraiment, mon vieux, je ne sais pas faire les dames toute nues qui... etc. (voir plus haut), ni les rudes travailleurs ni le grain des revendications prolétariennes.
Je suis bête comme mes pieds ; je n'ai aucune imagination. Je crois bien que je suis plus bête que Maurice Barrès et Charles Léandre, et Heredia et Dieu lui-même. L'allégorie symbolique, le symbole allégorique, décidément c'est pas mes oignons... »
▬ Villa Saint-Joseph à Saint-Tropez (Var), [1909, d'après une note postérieure d'une autre main].
« Votre lettre m'a affligé... par tout ce qu'elle contient d'énervement, de lassitude... Ne vous attardez pas trop à savoir ce que vous devez faire. Vous savez bien qu'on ne choisit pas. On ne mène pas les circonstances ; elles vous mènent. On subit son destin et est elle est bien mince dans votre destinée, la part de votre volonté... Ne vous demandez pas le meilleur emploi à faire de votre sensibilité. Vous ne pouvez pas ne pas sentir, donc ne pas souffrir... [L'écrivain Charles-Louis] Philippe, qui est un mystique, s'efforce de se contruire une morale d'après laquelle il saura juger le bien et le mal.
Moi, je ne m'efforce plus que de me désencombrer de tout principe. Je ne veux plus juger les choses d'après des idées générales, mais seulement d'après ma sensibilité du moment. Et l'idée que je peux me tromper ne me fait pas frissonner... Eh bien Philippe et moi nous ne faisons l'un et l'autre que ce que nous pouvons faire ; et c'est tout...
J'ai travaillé assez sérieusement et si le résultat n'est guère satisfaisant, je suis du moins très heureux d'avoir été, dans ce pays, obligé à un effort qui, je l'espère, portera ses fruits plus tard... »
▬ Une lettre concernant les révolutionnaires espagnols des Asturies (s.l., vers 1934), ou encore une lettre concernant un projet d'exposition qu'Élie Faure voulait organiser à Alger, et pour lequel Francis Jourdain lui conseille de contacter les architectes André Lurçat, Georges-Henri Pingusson, Robert Mallet-Stevens, Le Corbusier, Willem Marinus Dudok et Jakobus Johannes Pieter Oud (s.l., 22 janvier 1936), etc.
Les dessins de Francis Jourdain représentent un peintre à son chevalet en extérieur, un détail champêtre, et, pour les trois autres, des maisons campagnardes.