Lot n° 68

MAILLOL (Aristide). 3 lettres autographes signées. 1921.

Estimation : 1200 / 1500
Adjudication : 1700 €
Description
♦ Sur sa statue L'Action enchaînée, hommage à Auguste Blanqui. À l'initiative de Gustave Geffroy, auteur d'une biographie de Blanqui, L'Enfermé (1897), et avec l'appui de Georges Clémenceau et d'Octave Mirbeau, ce bronze monumental avait été commandé par la Ligue des droits de l'Homme pour être installé à Puget-Théniers, bourg natal du révolutionnaire dans les Alpes-Maritimes (1908).
La nudité de cette allégorie, placée près de l'église, choqua les bien-pensants et amena les autorités à la déplacer.

▬ Banyuls-sur-Mer (Pyrénées-Orientales), 10 décembre 1921. « Je reçois un télégramme de Matisse me disant qu'il vient d'apprendre qu'il y a des pourparlers entre un particulier de Monaco et la ville de Puget-Téniers pour vendre un modèle de la statue de Blanqui en bronze se trouvant à Puget-Théniers. Matisse me dit qu'il vous a averti et me prie de vous envoyer des renseignements pour que vous puissiez agir...

→ Voici quelques renseignements au sujet de ma statue :
la statue a été fondue par [Jean-Augustin] Bingen et [François] Costenoble, dans le quartier de la rue d'Alésia [à Paris]. J'ai oublié l'adresse, mais mon fondeur la connaît et peut vous la donner. Voici l'adresse de mon fondeur :
[Désiré] Godard, 248 rue de Belleville. Paris. Cependant ce fondeur ne possède pas de modèle plâtre de ma statue, ce qui est indispensable pour fondre un bronze. Il faudrait donc qu'il fût fait un moulage sur la statue de Puget-Téniers – c'est pour cela qu'il est plus simple de s'adresser au maire de cette ville.

♦Aucune commande ne m'a été faite de cette statue par l'État ni par aucune municipalité. Il va sans dire que la ville de Puget-Téniers n'a aucun droit de vendre des modèles de ma statue.
D'autant plus que cette statue ne m'a pas été payée – j'ai accepté de la faire pour le prix de la fonte. J'ajoute que le plâtre qui a servi à le fonte m'a été acheté par l'État, par les soins de Gustave Geffroy [écrivain et critique d'art]. Dans le cas où ces pourparlers existeraient, je vous serai bien reconnaissant d'employer votre autorité pour les arrêter... »

▬ Banyuls-sur-Mer, 15 décembre 1921.
« Je vous remercie de vos deux lettres, mais quel tracas je vous donne.
Je vous ai écrit à la prière de Matisse
– et je n'ai pas hésité à le faire, ayant toute confiances aux motifs qui ont poussé Matisse à s'adresser à vous... Il faut d'abord savoir de quoi il s'agit – à cette fin, j'ai de suite écrit au maire de Puget-Théniers, mais je n'ai pas encore reçu de réponse. Il faut donc attendre, à moins que vous ne demandiez de nouveau à madame Matisse si elle sait quelque chose de réel. Dans tous les cas, il ne s'agit pas comme vous semblez le croire, de la statue existant déjà à Puget-Théniers et qui est sur place publique depuis 10 ans au moins. Mais bien d'un moulage que le maire laisserait faire (probablement en payant) à un particulier de Monaco, qui en ferait couler un bronze – c'est ce que j'ai compris dans l'avis de Matisse. Je me demande pourquoi Matisse ne répond pas à ma lettre ? Mais n'est-il pas à Puget-Théniers en ce moment ? car je viens de recevoir une carte postale, reproduisant le monument Blanqui, avec cette simple phrase : mes compliments et amitiés, et signé HM. Je suppose que c'est Henry Matisse. Il faut donc attendre des renseignements plus précis. Dans tous les cas, il ne serait peut-être pas mauvais d'annoncer cela dans les journeaux, cela obligerait peut-être le maire de Puget-Théniers à s'excuser.
Je réponds à votre questionnaire :
1° Les intentions du maire de P.-T., je ne les connais pas encore.
2° Le bronze se trouve sur place publique.
3° Le bronze est parvenu à P.T. par la suite naturellement de la commande que m'en avait fait le comité de P.-T. par l'intermédiaire à Paris de G. Geffroy, Clemenceau et Mirbeau.
4° Je ne sais lequel était le président. On m'a appelé chez Clemenceau, où j'ai accepté de faire le monument pour 7 mille francs, mais je n'en ai touché que 3 mille qui ont servi à payer la fonte.
5° Je ne vois pas d'inconvénient à la campagne de presse. Je la laisse à votre jugement. Vous pouvez commencer à dire ce que vous a appris madame Matisse... »

▬ Banyuls-sur-Mer, 25 décembre 1921.
« Je sais enfin la vérité sur notre affaire. J'ai une lettre du maire de Puget-Théniers. Je vous l'envoie, cela m'obligera de vous l'expliquer – voici mon idée là-dessus. J'ai donné cette statue à condition qu'elle serait placée à mon goût. Le comité m'a assuré qu'elle ne serait pas déplacée. La place est admirable. je lutterai pour la conserver.

♦Le ministre des Beaux-Arts [Léon Bérard] n'a aucun droit à changer ma statue, pour un buste, il me semble. La statue ne se trouve pas devant l'église, mais à côté où il n'y a pas de sortie.

C'est le mur doré de cette église qui m'a séduit. Les journaux de Paris ont parlé, en se moquant plusieurs fois de cette affaire, car il y a longtemps que les dévots de Puget-Théniers se plaignent. On se demande pourquoi ? Bien entendu, c'est pure question de politiquaille de village. Voyez vous-même si on peut encore en rire un peu dans ces journaux de Paris. Pour moi, je vais répondre au maire et tâcher de le convaincre... »
Partager